21 - Taïga (2/2)

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Ils sont couchés depuis longtemps, et le sommeil me fuit de nouveau.

Allongé dans mes fourrures, à l'abri dans ma tente, je pense à la Femme-Lune et au voyage qui nous attend encore, aux paysages que nous allons rencontrer et aux dangers que le dieu-sans-nom va poser sur notre route ; mon cœur s'emballe.

La chaleur d'Amaruq me procure un bien-être auquel je me raccroche. Le loup noir fait des allers-retours entre l'intérieur et l'extérieur, alternant de courtes phases de sommeil. Alerte, il surveille avec Mumbaÿ le camp. Le sommeil finit par me happer, et je reviens à moi à l'aube. L'air glacé me fait frissonner.

Les fourrures douces me retiennent encore un peu ; je grogne, tant je ne veux pas me lever. Mais la voix de Qahim, dure et autoritaire, me force à me redresser.

« Sigur ! Sigur, allez, bouge-toi ! »

La marche de la veille a rendu mes muscles ankylosés. Ma jambe infirme lance des éclairs de douleurs intenses. Je serre les dents, enlève le cuir tendu entre les trois piquets et commence à ranger mes affaires. Amaruq est absent, ainsi que Mumbaÿ, sans doute en train de chasser ou d'explorer les alentours. Je ne m'en inquiète pas, préférant saluer Oko et Krania, les paupières alourdies par le sommeil.

Je suspends une outre à côté des braises moribondes, et je saisis ma gourde.

Qahim commence à ranimer le feu.

« Je vais chercher de l'eau. » je grogne.

Il hoche la tête, passe une main dans ses cheveux longs. Il garde le silence. Emportant avec moi mon bâton de sorcier, je quitte les bois pour rejoindre un ruisseau un peu plus loin où j'en profite pour faire mes ablutions du matin et uriner tranquillement. Une fois rafraîchis et les idées plus claires, je commence mes exercices de respirations, paumes tendues vers le ciel pour m'ouvrir au vent, aux nuages, aux arbres qui m'entourent.

Des insectes bourdonnent, moucherons, criquets, sauterelles, tant la douceur de ces quelques jours les réveillent et les rend actifs.

Dans le lointain, je peux presque entendre les aurochs partir vers le sud à mesure que l'été s'allonge. Quand je reviens vers le camp, Qahim a prit la liberté de ranger ma tente et de plier le cuir. Je le remercie d'un sourire. Ce dernier évite le contact oculaire.

Il semble autant souffler le froid que le chaud. J'ai bien conscience qu'il aurait préférer revenir de son voyage acclamé par les siens, et faire la fête pendant des jours au lieu de m'accompagner dans un voyage dont on ne sait pas, finalement, si l'on va revenir.

« Sorcier Sigur, tu en as mis du temps à revenir de tes ablutions, fait-il remarquer.

— Comment sais-tu que...

— Oceyäne, dit-il avec un sourire. Dois-je te rappeler qu'elle est ma mère avec Izna ? »

Il secoue la tête, remplis l'outre avec l'eau que je lui donne et plonge les galets brûlants. Krania fait réchauffer sur les pierres du foyer quelques galettes de céréales et Oko ferme nos sacs. Amaruq et Mumbaÿ décident de cet instant pour faire leur retour, langue pendante. Mon ami loup me lèche les doigts et le cou, tout en poussant des grognements de satisfaction.

« Aaah, Amaruq ! m'exclamé-je en le retenant par les poils de son cou, tu es lourd ! »

Le jeune louveteau, encore adolescent, continue sa croissance et sera bientôt aussi imposant que Mumbaÿ. La louve, plus calme, se contente de s'allonger aux côtés de son compagnon de voyage, ses yeux d'ambres posés sur le turbulent Amaruq.

J'ouvre mon sac d'herbes médicinales et concocte un breuvage de menthe et de réglisse. La menthe va éclaircir nos haleines. Les petits bâtons que je donne, de la taille d'un index, va nous enlever le tartre et aider à prévenir les douleurs.

« Allons-nous continuer dans la direction du nord ? s'enquiert Krania.

— Absolument, confirme Qahim, jusqu'aux premiers reliefs. Nous allons aviser ensuite en fonction du terrain.

— Et des ressources, précise Oko.

— Je me demande si l'on va rencontrer des peuples, comme dans tes voyages, Qahim, reprend Krania les yeux dans le vague. C'est passionnant ! Peut-être possèdent-ils une magie que nous ignorons.

— Tout dépend, soupire Qahim en sirotant son infusion tout juste préparée, des peuples qui peuvent croiser notre chemin. »

Visiblement, le souvenir des Arkaïsiens demeure vif.

Nous terminons de rassembler nos affaires et nous reprenons la route. Le sol marécageux commence à se vallonner et s'assécher. Nos pas nous mènent toujours plus loin, et bientôt les jours s'enchaînent avec douceur.

Nous ne rencontrons pas une seule personne, mais cela reste logique ; rares sont les villages. Je ne connais pas du tout le nord de la Terre, moi qui ai toujours vécu avec mon clan et ma tribu au Sud, proche de la mer et des Steppes. Ainsi, à avancer dans l'immensité du monde, je sens en moi l'exaltation de la découverte et de la beauté du paysage.

Au soir du quatrième jour, nous atteignons des forêts denses de chênes, d'aulnes et de freines et d'if ; les falaises creusent les collines, où coule une rivière calme et poissonneuse. Nous en longeons les berges jusqu'à une plaine piquetée de fleurs et de buissons, où nous récoltons plusieurs tubercules pour nos repas du soir.

Ma fronde fuse à plusieurs reprises, autant pour des poules d'eau que pour des lapins ; Amaruq est réactif, et nous commençons à chasser ensemble, comme lorsque nous étions seuls. La complicité retrouvée avec mon ami sauvage, je me sens libre comme l'air. Même si ma jambe droite me fait souffrir quand nous montons le camp pour la nuit.

Krania et Oko s'entendent à merveille. Ils partent souvent de leur côté pour récolter des baies et des fruits, ou même pour chasser de petites proies ; la plupart du temps, ils laissent le soin à Qahim et moi de préparer le feu et de chauffer l'eau pour le repas. Notre groupe est agréable, les tâches se répartissent entre nous avec aisance et fluidité. Ça me donne l'impression que nous voyageons ensemble depuis des lunes entières, tant notre entente est grandissante.

Le Murmure des Pierres (version non améliorée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant