Brandon ouvrit un peu plus grand ses yeux.
Jack poussa un soupir, en désignant d'un air las sa touffe de cheveux roux indisciplinés sur sa tête cachée sous sa casquette. Et Brandon sembla rassembler les morceaux du puzzle peu à peu.
— J'étais le seul à avoir les cheveux roux. Tout le monde avait des cheveux noirs, bruns, blond... normal... et moi, j'étais... différent. Et les gens n'aiment pas la différence... cela leur fait peur.
Il balança mollement ses pieds au-dessus de l'eau.
— Ils se moquaient de moi... tous les jours... ils me tiraient les cheveux en me disant qu'ils étaient faux, qu'ils étaient horribles. Ils s'amusaient à me jeter de l'eau sur la tête à longueur de journée en disant que cela allait peut-être faire partir la couleur de mes cheveux. Alors je mettais un chapeau sur ma tête qui cachait mes cheveux. Je me cachais...
Brandon posa instantanément ses yeux sur la casquette qui couvrait sa tête. Il l'avait toujours vu... mais pour lui cela n'avait été qu'un détail... qui prenait enfin tout son sens.
Aussi bien que Brandon ne quittait jamais sa pochette verte, Jack ne quittait jamais cette casquette qui cachait presque entièrement ses cheveux. Il se cachait... il s'était toujours caché... sous ses yeux... il n'avait rien vu... il n'avait jamais rien vu.
— Un jour, repris Jack, un couple est venu à l'orphelinat. Ils voulaient adopter un garçon. Ils ont parlé avec certains garçons, puis ils sont venus vers moi. Ils ont semblé m'apprécier. Ils sont revenus deux fois me revoir. Puis, ils ont décidé de m'adopter.
Il se tut un instant, et Brandon vit la douleur s'inscrire encore plus profondément sur ses traits.
— Ils allaient faire de moi leur fils... j'allais avoir une famille, j'allais quitter cet endroit qui me détruisait jour après jour. Mais, ils m'ont demandé d'enlever mon chapeau, ils voulaient m'en passer un neuf. J'étais tellement heureux que j'avais oublié mes cheveux. Mais la réalité finit toujours par nous rattraper. Quand je l'ai retiré, j'ai tout de suite compris mon erreur en voyant leur visage. Le choc, l'horreur... je me souviens mot pour mot de ce qu'a dit celui qui allait devenir mon père : « vous n'aviez pas dit que c'était un roux ! ».
Il renifla lamentablement.
— Voilà ce que j'étais pour eux, ce que j'étais pour tous... un roux, rien de plus... A force d'être traité comme un monstre, on finit par le devenir. On m'a changé d'orphelinat. Quand je suis arrivé, les autres enfants m'ont tout de suite dévisagé, certains pouffaient. Mais... je ne voulais plus être celui que l'on martyrise. Alors je suis devenu celui qui martyrise. On s'en prend à ceux qui semblent faibles. On ne touche pas celui qui fait peur. On se contente de le détester silencieusement. J'ai remplacé « Jack le roux » en « Jack la terreur ». Les enfants ne se moquaient plus. Ils me respectaient, ou plutôt ils me craignaient. Mais quelqu'un qui se comporte comme je l'ai fait n'est jamais heureux... car il n'est aimé de personne. On ne fait que le craindre. Mais au moins personne ne s'en prend à lui. Quand tu es arrivé, j'ai vu un peu de moi en toi, et ça m'a fait peur. Allez vers toi, c'était redevenir « Jack le roux ».
Il essuya ses yeux.
— J'ai oublié qui je suis. Pour eux avant je n'étais que le roux, aujourd'hui je ne suis plus que la brute. Mais moi, je ne sais pas qui je suis.
Brandon posa sur lui son regard. Au fond, aussi invraisemblable que cela pouvait lui paraitre, une pensée germa dans son esprit. Ils n'étaient pas si différents que cela au-delà des apparences.
Il n'était que le roux. Et il n'était que l'enfant illégitime.
Ils étaient différents des autres, et cela dérangeait.
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Dans son regard - Brandon
Historical FictionAngleterre, XIXe siècle. Ils n'étaient pas désirés, ils n'ont pas été aimés. En route vers la résidence de campagne de son père, la fille du duc de Bellington pense enfin entrevoir le bonheur. Si elle a perdu depuis longtemps l'espoir d'être aimé, A...