Il y a des moments dans la vie où le cerveau semble brusquement cesser de fonctionner.
Dans ce genre de moment, il n'y a plus de place pour la réflexion, il n'y a qu'une place pour l'incompréhension.Faire face à l'inconnu peut être déstabilisant, ... très déstabilisant. Et sur le coup, la première réaction peut être... la non-réaction. Très inutile... vraiment très utile. Et comme prenant enfin conscience de son retard, le cerveau décide après coup de mener enfin l'action qui lui revient de droit : la réflexion.
Le but était simple, mais pas des moindre : comprendre l'arrêt brusque du fonctionnement du cerveau.
Il y avait une multitude de causes possibles, certaines incroyables !... d'autres, un peu moins.Dans son cas, son cerveau avait cessé de fonctionner à cause de simples mots, rien que des mots... inconnus au bataillon. Il lui semblait donc logique de méditer ces mots comme le ferait un commandant essayant d'analyser sa situation qui lui avait échappé.
« Je t'aime bien ».
Oui, décidément, inconnu au bataillon.
C'était la première fois que quelqu'un disait l'apprécier. Il avait passé sa vie jusque-là à être exclus par les autres pour ce qu'il était, bien malgré lui.
En France, on le rejetait parce qu'il était anglais, et maintenant qu'il était en Angleterre, on le rejetait parce qu'il avait vécu en France, et qu'il ne savait pas parler.
Mais en vérité, il avait tellement pris l'habitude d'être rejeté, par les autres parce qu'il était différent, que cela ne le touchait plus... enfin, presque plus.
Il avait appris à aimer sa solitude. Il n'avait pas besoin des autres, il pouvait rester seul, cela ne le dérangeait pas.
Il tapa dans un caillou.
Ce qu'il ne comprenait pas, c'est pourquoi Anthéa s'acharnait tant à essayer de devenir son amie. Elle ne le savait peut-être pas, mais cela faisait longtemps qu'elle l'était déjà pour lui.
Il fronça les sourcils.
Était-elle vraiment son amie au fond ? Il ne savait pas vraiment ce que l'on pouvait considérer être un ami ; il n'en avait jamais eu.
Il soupira.
Il était complètement perdu. Il n'avait jamais eu besoin de quelqu'un. Il se sentait bien, seul. Et pourtant, il ne pouvait nier qu'il se sentait bien lorsqu'elle se trouvait à ses côtés, qu'il se sentait plus léger, qu'il se sentait... heureux ?
Il secoua la tête.
Mais que lui arrivait-il ? Il ne pouvait pas être heureux, pas lui. Il était une erreur de ce monde. Et une erreur n'a pas le droit au bonheur, elle doit se contenter de subir son existence en silence. Une erreur ne vit pas, elle survie, ce maintien en vie et en paye les conséquences.
Il sentit son cœur s'affaisser.
Les mots qu'on avait de cesse de lui répéter tournaient en boucle dans sa tête, surtout une phrase que les autres prenaient plaisir à lui répéter inlassablement, toujours cette même formule, comme une malédiction : "personne ne pourra jamais s'intéresser à toi, personne ne pourra jamais vouloir devenir ton ami, et surtout personne ne pourra jamais t'aimer".
Toujours cette même formule qui faisait si mal...
Il secoua de nouveau la tête.
Un être aussi méprisable que lui ne peut pas avoir d'émotions, on le lui avait assez répété.
Son regard se ferma un peu plus.
Il ne devait jamais oublier ce qu'il était. Jamais.
Il prit sa tête entre ses mains, la phrase continuait de tourner dans sa tête. "Personne ne pourra jamais s'intéresser à toi, personne ne pourra jamais vouloir devenir ton ami, et surtout personne ne pourra jamais t'aimer". Il ne voulait pas y penser, il ne voulait plus.
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Dans son regard - Brandon
Historical FictionAngleterre, XIXe siècle. Ils n'étaient pas désirés, ils n'ont pas été aimés. En route vers la résidence de campagne de son père, la fille du duc de Bellington pense enfin entrevoir le bonheur. Si elle a perdu depuis longtemps l'espoir d'être aimé, A...