*10 mai 835*
Au village de Pegasus, tout le monde connaissait les Ivoldo. Autant ses habitants n'avaient jamais porté mon grand-père maternel dans leur cœur, au vu de ce qu'il faisait subir à sa famille (je n'avais su cela que très récemment, après la mort de Honey, répondant ainsi aux questions d'enfance que je me posais), autant ils appréciaient ma défunte mère, mon oncle Kássandros et sa petite famille. Ils s'entendaient à merveille avec ces derniers. Et apparemment, maman était considérée comme la plus jolie jeune femme du village. À ce qu'on m'avait dit, elle ne manquait pas de prétendants mais elle refusait très poliment toutes les demandes en mariage en expliquant qu'elle voulait aider sa famille quelque temps encore.
Après, mes parents s'étaient rencontrés à l'atelier de mon oncle, et nous connaissions tous la suite.
D'ailleurs, depuis la mort de Honey, mon géniteur n'avait pas réessayé de me contacter. Tant mieux ! Même s'il s'était expliqué dans ses lettres et aussi dans notre court face-à-face, il ne méritait pas mon pardon. Il avait perdu sa chance de s'excuser au cours des vingt-trois dernières années (dont ces treize ans après m'être enfuie de la maison).
Accuser son enfant d'être responsable de la mort de sa mère, le jour de sa naissance en plus, c'était tout bonnement inacceptable !
Néanmoins, sans le savoir mon géniteur m'avait aidé en quelque chose : ses critiques incessantes et son indifférence jusqu'à mes 10 ans m'avaient permis à m'endurcir. À me rendre plus forte. Et c'est lors de ma fugue, fin 822, que je m'étais jurée de ne plus jamais me laisser marcher sur les pieds !☆☆☆
La maison des Ivoldo, comme le reste des habitations au village de Pegasus, faite de pierres et de poutres, était assez humble et couvrait les besoins fondamentaux de la famille. Elle contenait deux étages, une cuisine avec une cheminée, et quatre chambres à l'étage — une parentale, deux pour enfants, et une chambre d'amis. En bref, l'intérieur de la propriété se montrait légèrement luxueux.
Ce n'était pas grand-chose mais la famille s'en contentait parfaitement. Ils vivaient simplement, et avec peu d'attaches matérielles.
C'est ce qui me plaisait chez mon oncle et ma tante : ils n'essayaient pas de vivre pas au-dessus de leurs moyens, et faisaient passer leur famille avant tout le reste. L'indifférence de mon père puis l'amour donné par ma famille maternelle m'avaient fait comprendre que l'argent ne faisait pas tout, et qu'on n'avait pas besoin de beaux vêtements de marque pour se faire des amis.
Et, surtout, contrairement à la plupart des enfants de mon âge, à l'époque (et même maintenant), je n'avais jamais rien demandé pour quoi que ce soit, préférant me faire plaisir de temps en temps. Pourtant, j'aurais très bien pu embêter ma famille pour cela.
Ce qui prouvait l'inculpation de principes et de valeurs humaines enfant.
Après avoir attaché nos chevaux près de la maison et leur avoir donné de quoi manger et boire, mon escouade s'était installée dans la pièce de vie. Kássandros ne s'était toujours pas pointé. Cela en devenait inquiétant. Ilías fit son apparition peu après notre arrivée en descendant les escaliers ; son visage fermé nous indiquait qu'il n'avait pas réussi à convaincre son père.
- Oncle Kássandros est toujours en haut ? demandai-je à mon cousin, qui nous saluait.
- Malheureusement, oui. Papa s'en veut de n'avoir rien pu faire pour empêcher les derniers événements, dont le décès de votre amie, soupira Ilías. Il se dit que s'il avait parlé plus tôt sur qui était son frère, rien de tout ça ne serait arrivé.
Mike et Erwin s'échangèrent un regard entendu, je fis une légère grimace. L'amour fraternel pouvait se montrer très puissant. Même si Kássandros n'adhérait pas du tout les activités meurtrières de Gabriel depuis des années, ce dernier restait malgré tout son frère ; il espérait qu'un jour l'assassinat le fatiguerait, et que Gabriel reviendrait vers ce qu'il lui restait de famille.
Mais Kássandros n'avait pas dû penser que son frère poursuivrait à travers Trost la fille de leur défunte sœur — moi, en l'occurrence —, et qu'il tuerait au passage une amie proche de leur nièce.
Et maintenant, Kássandros se sentait coupable, parce qu'il savait que Gabriel était un cas désespéré, et qu'en voulant protéger sa famille il n'avait rien tenté pour arrêter son frère aîné, par amour fraternel. Ça devait être terrible de se dire que son frère meurtrier ne pouvait plus revenir en arrière, et se retrouvait actuellement derrière les barreaux. Ça n'allait pas être évident de faire entendre raison à Kássandros, même moi, sa nièce.
Le capitaine Rosenberg demanda à ma tante depuis combien de temps il était comme ça. Il s'avère que le général Zackley avait rendu visite à Kássandros quelque temps après l'arrestation de son frère Gabriel et la mort de Honey, pour l'interroger sur les origines de ma famille maternelle. L'enquête en cours avait ouvert à la suite de cette nouvelle affaire (j'en avais fait les frais quelques jours plus tôt, quand le général m'avait posé des questions). Face à cela, mon oncle n'avait pas eu d'autre choix que de raconter aux militaires leur enfance, à lui, Gabriel et ma mère, et ce qu'ils avaient vécu pour pousser son aîné à devenir un tueur en série. Kássandros avait aussi ajouté n'en avoir pas parlé à ma tante, à moi et à Ilías pour ne pas nous inquiéter, ce qui partait d'une bonne intention. Et comme dit plus tôt, mon oncle n'avait pas prévu que son frère irait aussi loin en tuant une de mes amies, et il en était désolé. C'est depuis ce jour que Kássandros craignait d'être jugé par les gens, d'être considéré comme en étant « le frère de Gabriel Ivoldo, le tueur en série ».
Je n'en voulais pas à Kássandros. Après tout, il n'était pas responsable des actes de son frère aîné, ni du meurtre de Honey. Rien n'était écrit en avance et personne ne savait ce qui se produirait les jours à venir... ou les années à venir. Quelqu'un devait dire à Kássandros ce qu'il voulait vraiment entendre depuis des jours.
Pendant que mon supérieur discutait avec Junna et Ilías, je prévins Erwin et Mike mon intention de parler avec Kássandros puis je me rendis à l'étage. Mon oncle devait encore se trouver dans sa chambre à l'heure qu'il est. C'est là où il s'était réfugié, après le travail à l'atelier, quand ma tante nous avait accueillis tous les quatre à l'entrée du village de Pegasus, tandis que mon cousin veillait sur son père. Peut-être que moi, il écouterait ce que j'avais à lui dire ?
J'arrivais dans le couloir des chambres, à l'étage, lorsqu'un bruit attira mon attention. Kássandros sortait de la chambre parentale ; son visage avait les traits tirés et les poches sous les yeux feraient peur à n'importe qui. Cette vision me serra le cœur.
- Oncle Kássandros ?
Le pauvre fit des bonds de trois mètres. Il se retourna alors.
- Akiko ? C'est toi ? murmura-t-il d'une voix tiraillée entre la fatigue et la culpabilité. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je suis arrivée avec mon escouade il y a peu à Pegasus, comme je l'ai promis dans ma dernière lettre, tu sais, répondis-je. Tante Junna nous a raconté ce qui s'est passé, lors de la venue du général à ton atelier. Je suis désolée que mes supérieurs se soient intéressés à toi, à cause de ce qui est arrivé à Honey.
Je m'approchai et pris mon oncle dans mes bras. Il avait besoin de soutien, de comprendre que rien dans les derniers événements était de sa faute.
- Ça va ? Ilías disait que ce n'était pas la grosse forme.
- J'ai connu des jours meilleurs que ça, fit remarquer Kássandros en grimaçant. Maintenant, à cause de toute cette histoire, les gens vont connaître notre lien de parenté avec ton oncle. J'aurais préféré que rien de tout cela ne soit arrivé, que ce ne soit qu'un mauvais rêve.
Mon cœur se serra de nouveau à ces paroles. Son moral était plus bas que je ne le pensais... J'essayais de trouver les bons mots pour le rassurer. Lui rappeler ce qu'il semblait être un « mauvais rêve » n'arrangerait pas la situation.
- Je ne t'en veux pas d'avoir caché que Gabriel est ton frère. Après tout, ta seule préoccupation était de nous protéger. Tu ne peux pas prévoir tout ce qui se passera à l'avenir — et encore moins les actes de ton frère. C'est lui que ça concerne, pas toi. Même si tu en avais parlé, Gabriel ne se serait pas arrêté là, même s'il a le sens de la famille.
- Et pourtant... qu'est-ce que je n'aurais pas fait pour que ses crimes cessent. C'est là mon seul regret, ma puce : c'est de ne pas l'avoir dénoncé des années plus tôt. A cause de cela, ton amie est morte. Et sa famille a perdu une fille et une sœur.
Sur ce dernier point, il n'avait pas tort. En croisant par hasard Gabriel le jour où mon père me rendait visite au quartier général de Trost, Honey ignorait que sa vie allait s'arrêter de manière si soudaine et si cruelle. Ce décès si inhumain avait attristé beaucoup de monde : ses supérieurs et ses amis du Bataillon d'exploration, sa mère, ses trois frères. On n'avait pas besoin de cela. Cela n'aurait jamais dû arriver si nous n'avions pas manqué de vigilance. Et ça me rendait malade chaque fois que ces pensées sombres me faisaient ruminer sur les dernières minutes de Honey.
Qu'avait-elle pensé lors de ses derniers instants ? Songeait-elle à sa famille, qu'elle laissait derrière elle ? A ce qu'elle avait accompli en tant que soldate du Bataillon ? A Lexie, Erwin, Mike, Hansi, moi, June, le capitaine Rosenberg — tous les amis qu'elle s'était fait depuis nos années dans les Brigades d'entraînement ? Et le fait qu'elle n'aura jamais la vie qu'elle rêverait quand elle quitterait ce monde ?
Des questions dont on n'obtiendra jamais les réponses. Des questions qui nous feront culpabiliser tout au long de notre vie.
Qui nous rappelleront sans cesse sur ce que nous aurions dû faire pour éviter ce drame.
On aura beau refaire le monde avec des « si », rien ne pourra ramener l'amie qu'était Honey pour ses collègues militaires, et la sœur et la fille aux yeux de sa famille.
- Nous ne pouvons malheureusement pas refaire l'histoire, tonton. L'adversité dont connaît ce bas-monde nous mettra des bâtons dans les roues encore et encore, jusqu'à ce que nous tombions... mais faisons en sorte de nous relever, et que le sacrifice de Honey ne soit pas vain, déclarai-je. Elle n'aurait pas voulu que nous nous apitoyons sur notre sort. En sa mémoire, nous devons accepter les faits et continuer d'avancer. Si mon amie était là, elle aurait dit : « Hé ! Vous me faites quoi, là ? Ce n'est pas le moment de baisser les bras. Si on ne se relève pas, personne ne le fera à notre place pour sauver notre peau. » Honey était comme ça. Elle n'aimait pas voir les gens tristes.
Je pris les mains de Kássandros dans les miennes et j'ajoutai :
- Je sais que je te demande la lune, mais... fais en sorte que ton lien avec Gabriel ne soit pas une fatalité. Vous êtes frères, d'accord, mais lui et toi, vous êtes différents sur bon nombre de points. Au niveau du caractère et au niveau de votre façon de penser. L'avantage que tu as, contrairement à lui, c'est que tu as gagné le respect et l'admiration de beaucoup de monde. Tes collègues, tes clients, tes amis, ta famille, ceux qui veulent être comme toi... tous ne doutent de ta bonne foi et de ton honnêteté. Alors fais en sorte de ne pas les décevoir.
Ma déclaration ébranla beaucoup Kássandros. Visiblement, mon oncle ne s'était pas attendu à ce que je lui sorte ça. Et moi non plus, pour être honnête. Cette sagesse soudaine dont j'ignorais l'existence avait fini par sortir. Si Honey avait vu ça, elle m'aurait félicité tout en se payant ma tête.
Mon oncle me regarda cette fois-ci droit dans les yeux, et pour la première fois depuis un moment, un sourire franchit ses lèvres.*13 mai 835*
Mon escouade était restée à Pegasus pendant trois jours. Trois longues journées où le capitaine et les garçons avaient pu profiter de la vie à l'atelier tenu par Kássandros. Ils avaient aussi découvert qu'en plus d'avoir passé deux ans auprès des Ivoldo, avant mon entrée dans les Brigades d'entraînement onze ans auparavant, j'avais appris le métier d'artisan auprès de ceux qui travaillaient sous les ordres de mon oncle... et à parler comme un chartrier. C'est la raison pour laquelle Mike, Erwin et les filles me voyaient toujours en train de bidouiller, ou à parler avec le langage des artisans quand je me mettais en colère. Tout un tas d'anecdotes où ils en rigolaient comme pas permis. (Une chance que Hansi ne soit pas là. Ni June, ni Lexie. Mais je sentais que j'allais en entendre parler à notre retour à Trost.)
Ma tante et mon cousin n'arrivaient pas à croire que j'avais réussi à remonter le moral de mon oncle. Même maintenant, ils se demandaient si ce n'étaient pas des salades. Mais quand ils nous avaient vu arriver côte à côte, il y a trois jours, leurs yeux s'étaient agrandis de surprise alors que Junna s'écriait : « Oh, mon Dieu ! » Avant de se jeter dans les bras de son mari.
Même Erwin et Mike étaient épatés par l'exploit que je venais d'accomplir. C'est la preuve qu'ils ne s'y attendaient pas. Le capitaine Rosenberg ne cachait pas non plus sa fierté quand il m'avait tapoté l'épaule, d'un air de dire : « Bravo ! Tu as assuré comme une cheffe. A ta place, je n'aurais pas fait mieux. »
A vrai dire, moi non plus. Je pensais que j'allais foirer quelque part dans mes propos, que Kássandros allait davantage se morfondre plus qu'il se sentirait rassuré, ou qu'il pense que je lui en veuille pour Gabriel. Mais non. Des fois, il suffisait d'écouter son cœur.
En attendant, nous ignorons tous que quelque chose de grave nous attendait quand nous reviendrons au District de Trost, quelques jours plus tard.__________________________________________________________________________
Le chapitre 29 en ligne, mes petits chats 😊 Je suis désolée pour le retard, je ne pensais pas que cela prendrait autant de temps. Il faut dire qu'avec les autres fan-fictions et les deux histoires que je gère, ce n'est pas simple de tout mettre à jour. Mais j'espère malgré tout que ce nouveau chapitre vous plaira.
#Alixassëa l'Elfique
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« 𝓣𝓱𝒆 𝓬𝓪𝓹𝓽𝓪𝓲𝓷 𝓸𝒇 𝓶𝔂 𝓼𝓸𝓾𝓵 [SNK ~ Mike X OC] » / TERMINÉ
Fanfiction« Akiko Eyre, 23 ans, fait partie du bataillon d'exploration depuis la fin de ses années d'entraînement. Son vœu le plus cher est d'éradiquer tous les Titans de ce monde, pour qu'un jour les hommes puissent vivre libres. Chaque jour est un combat po...