Chapitre 16

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*11 avril 835 — soir*

La nuit était tombée une demi-heure plus tôt, le silence régnait dans le couloir depuis plusieurs heures déjà. La nouvelle de la mort de Honey avait eu l'effet d'une bombe : les Explorateurs en furent profondément ébranlés, y compris le Major Shadis et les vétérans. Arrêté en fin de matinée par le capitaine Rosenberg et deux autres soldats qui l'accompagnaient, Gabriel avait été mis sous les verrous dans les cachots de notre Quartier Général. Mais son arrestation ne fut qu'une maigre consolation, en vue de notre immense tristesse. Le Bataillon tout entier s'était retrouvé en deuil.
Suite au drame, le Major Shadis avait ordonné la fin des entraînements d'aujourd'hui pour s'occuper de prévenir la famille Hayden. Honey avait trois grands frères qu'elle adorait, et qui vivaient depuis quelques années maintenant au District de Karanes : Liam, Solomon et Irial Hayden. Sa mère, Carmen Hayden, vivait avec ses fils après le décès de son mari. Ils devront se déplacer jusqu'à Trost pour récupérer le corps de Honey.
Erwin, June, Lexie, Mike et moi, nous nous étions assis au beau milieu d'un couloir, l'air terriblement affecté par la perte de notre amie. Les yeux rougis par les larmes, je m'étais blottie dans les bras de Mike pour trouver du réconfort. Personne n'osait parler. Le décès tragique de Honey nous avait fichu un sacré coup.
Pour la énième fois de la journée, je soupirai tandis que je murmurai d'une voix inaudible :
- Je n'arrive pas à croire que Honey soit morte de cette façon.
Quand l'alerte concernant un intrus entré à l'intérieur du Q.G. avait été donné, le capitaine Rosenberg avait immédiatement pris les choses en main et avait ordonné à Lexie et June de mettre mon père à l'abri. Laissant le quartier général sous la direction du Major Shadis, il avait ordonné à Mike et Erwin de partir à ma recherche du côté de la porte de Trost (celle dont le chemin se dirigeait vers le District de Shiganshina), tandis qu'il prenait une autre direction avec deux jeunes soldats. Hansi leur avait raconté la scène où j'avais attiré l'attention de l'assassin de Honey à l'extérieur du Q.G., sauvant ainsi la vie de ma jeune collègue et l'autre soldat qui avaient découvert le corps sans vie de Honey.
La suite, je la connaissais : le capitaine Rosenberg m'avait sauvée d'une mort certaine en arrêtant Gabriel dans la ruelle où nous nous trouvions. La lame sous sa gorge, il avait laissé les soldats mettre les menottes au tueur en série.
J'avais eu beaucoup de chance de m'en être plutôt bien tirée. De ne pas avoir été la prochaine victime sur la longue liste de Gabriel. Mais Honey, elle, n'avait pas eu cette chance. Elle était morte en faisant ce qu'elle avait l'habitude de faire : prévenir le reste du Bataillon d'exploration pour arrêter l'assassin. Je me sentais affreusement coupable.
Erwin tenta de me rassurer en disant que Hansi et l'autre soldat avaient annoncé au Major et au capitaine Rosenberg qu'avec ce genre de blessure mortelle au cou, Honey n'avait eu aucune chance de s'en sortir, la carotide ayant été tranchée avec netteté. Gabriel était extrêmement doué pour tuer ses victimes sans laisser de trace. Cette tragédie aurait pu arriver à n'importe lequel d'entre nous.
- Tu n'as pas à t'en vouloir, Akiko, termina Erwin, en me regardant. Honey était une excellente soldate, et elle savait pertinemment ce qu'elle devait faire. Elle a agi en héroïne.
Une héroïne, hein...
Hochant mollement la tête, mes yeux se posèrent à nouveau sur le mur en face de nous cinq, complètement effondrée. Je me sentais incapable de me retirer les images de Honey morte de ma tête.
- On ne peut pas dire que nous étions d'accord sur tout, avec Honey, vu que nos caractères divergeaient sur beaucoup de points. Mais c'est vrai qu'en tant que soldate, elle était très compétente. Et en tant qu'amie... elle savait donner de précieux conseils ! J'espère que sa famille trouvera la force de faire son deuil.
Oui, je l'espérais sincèrement. J'avais mal pour eux et je n'imaginais même pas ce qu'ils ressentiront lorsqu'ils recevront la lettre du Major Shadis. Ça sera un véritable choc pour eux !
Non pas parce que Honey était décédée au cours d'une expédition Extra-Muros (mangée par un Titan, pour être exact), mais parce qu'un fou furieux l'avait assassinée en lui tranchant la gorge — et qu'il s'apprêtait à faire de même sur la personne d'une autre soldate du Bataillon d'exploration.
De quoi semer la panique à travers la population.
Ce fut le moment choisi par le capitaine Rosenberg pour apparaître comme par magie devant nous. Ses traits tirés trahissaient sa fatigue et le vieillissaient de dix ans. Lui non plus, n'échappait pas à la tristesse face à la perte de Honey. Et pourtant, il tentait de faire bonne figure, comme le prouvait sa tentative de nous faire sourire.
- Eh bien, les jeunes, vous en faites des têtes de déterrés. On dirait que vous venez de croiser des zombies.
C'était un peu le cas. Personne n'avait le cœur à rire, ce qui n'arrangeait pas les visages qui semblaient faire dix mètres de long. Le capitaine sentait bien notre ressenti actuel.
- Allez vous coucher, on en reparlera demain matin. Ah, et Akiko, m'informa-t-il au moment où je me redressais, ton père est parti du quartier général il y a quelques heures, dans une calèche en direction du District de Yarckel. J'ai pris les dispositions pour que des soldats le raccompagnent jusqu'à son domicile.
Mon entrevue avec Ménélas se sera révélée plus courte que je ne le pensais. Mais, au moins, le savoir en sécurité en ce moment même me rassurait, au vu de la situation actuelle. Tiens... pourquoi est-ce que je mets à m'inquiéter pour lui, tout d'un coup ?
Je remerciai mon chef d'escouade pour la nouvelle, et je suivis les autres après m'être levée et lui avoir fait le salut. La fatigue donna la sensation de jambes lourdes. J'avais tellement pleuré que l'épuisement était arrivé plus rapidement que je ne le pensais, à vitesse grand V. Voire carrément au galop ! Je ne prêtai même pas attention aux couloirs vidés de toute présence humaine, avec comme seule compagnie les torches de feu accrochées sur les murs, c'était dire. Je tentais malgré tout de rester éveillée en me frottant les yeux.
Notre groupe se divisa au moment d'arriver vers l'étage des chambres des jeunes recrues et des subordonnés : Lexie et June entrèrent dans la chambre qu'elles partageaient (à l'instar de celle où Honey et moi dormions, quand elle était encore en vie), Erwin dans la sienne. Hansi avait rejoint sa chambre depuis longtemps déjà. Elle avait aidé le Major à préparer la paperasse, y compris le compte-rendu destiné au général Daris Zackley pour le prévenir des circonstances du décès de Honey.
Mais moi... je n'arrivais pas à franchir la porte. Ça semblait au-delà de mes forces. Mon fort intérieur me répétait que, dès que j'aurai franchi l'embrasure, la chambre tout entière me rappellerait mon amie disparue. Les lits en mezzanine, les affaires de Honey qui traînaient ici et là, son équipement tridimensionnel... Le rire communicatif de Honey revenait en mémoire, et ses paroles aussi.
« Alors, tu lui as avoué ce que tu ressentais pour lui ? »
« Tu dis ça à chaque fois et tu te dégonfles. Il faut que tu te dépêches, ou il sera trop tard ! Chaque minute compte avant l'expédition. Tu sais qu'il y aura encore des morts ce jour-là, mais personne ne se doute du jour où il décèdera par l'un de ces fichus Titans. Fais ton choix. »
Ces paroles, ça remontait à quatre jours précisément. Lorsque Honey me pressait d'avouer mes sentiments à Mike.
C'est comme si une force invisible voulait m'empêcher d'entrer dans la pièce où tous les moments heureux — comme les moments tristes — avaient été partagés durant ces huit ans.
Mike l'avait bien compris. Il venait de remarquer mon hésitation à entrer dans ma chambre. Alors, il demanda avec la plus grande des simplicités :
- Tu veux que je reste avec toi ?
Je me tournai vers lui, étonnée, avant d'acquiescer lentement d'un signe de tête. Au point où on en était, une présence à mes côtés me ferait du bien...
La chambre sembla plus triste que d'habitude quand nous y entrions. À cette heure-ci, Honey passait son temps — ou plutôt une éternité — dans la salle de bain, histoire de bien se décrasser avant de se coucher. Et moi, pendant ce temps, je tambourinais à la porte pour qu'elle en sorte. Le sketch ! Cette situation était arrivée tellement de fois que je me mis à penser que mon amie allait sortir d'un instant à l'autre de la salle de bain.
Mais ce temps était désormais révolu. Plus jamais je n'entendrai le rire de Honey résonner dans la chambre. Plus jamais on ne se chamaillera pour un oui ou pour un non.
Une étoile venait de mourir, et une partie de mon être avec.
La réalité me sauta en plein visage, comme une évidence. Le constat fait, je n'y tins plus et d'un coup, toutes les émotions retenues jusque-là explosèrent. Je me mis à sangloter très fort, ne pouvant retenir plus longtemps les larmes qui menaçaient de sortir. La culpabilité et les remords, l'incompréhension, la colère, tout ressortait d'un coup.
Comment est-ce qu'on avait pu en arriver là ? Pourquoi le destin avait-il voulu que les chemins de Honey et de Gabriel, un tueur en série, se croisent ? La vie était cruelle, je le savais pertinemment, mais pas à ce point-là. Je ne m'étais jamais sentie aussi seule.
Pendant que je pleurais, Mike s'était approché pour me prendre dans ses bras et me serrer contre son torse, posant une main sur ma tête. Je m'agrippais avec force à son haut. Il tenta de me réconforter par les caresses, et sa chaleur corporelle apporta un peu d'apaisement. A un moment, il fallait bien que les émotions finissent par sortir tôt ou tard — aucun être humain ne pouvait les garder éternellement enfouis au plus profond de lui-même.
Le deuil allait durer un moment avant que la douleur ne parte par elle-même.

*17 avril 835*

Presque une semaine était passée depuis la disparition de Honey, et son absence se faisait toujours ressentir. Ses frères et sa mère étaient venus récupérer son corps, deux jours après le drame ; le Major Shadis et le capitaine Rosenberg avaient alors la lourde tâche de leur annoncer le déroulement de la fin tragique de leur sœur et fille. Sa famille devait le savoir. Personne n'avait entendu les mots échangés, mais les cris de douleur de la mère de Honey avaient raisonné à travers le quartier général. Tout comme l'effondrement de ses frères qui s'étaient mis à pleurer toutes les larmes de leur corps. Ils devaient sans doute s'en vouloir de ne pas avoir été présents pour protéger leur petite sœur chérie. Honey m'avait confié qu'elle était proche d'eux, donc la douleur devait être immense...
Je me trouvais en haut des escaliers avec mes amis, à ce moment-là, quand les réactions de la famille Hayden s'étaient fait entendre. Les discussions s'étaient arrêtées net, le cœur se serrant en imaginant les proches de Honey s'effondrer lorsqu'ils apprirent la nouvelle.
Nos supérieurs compatissaient pour eux, et tentaient de trouver les mots justes. Annoncer la mort de quelqu'un à sa famille faisait partie des inconvénients de notre métier.
De plus, le capitaine et le Major étaient tous les deux pères de famille, donc ils comprenaient dans un sens la douleur des familles et se mettaient à leur place. Si c'était un de leurs enfants qui avait connu un sort aussi tragique que celui de Honey, ils se sentiraient tout aussi mal.
La date de l'expédition approchait à grands pas. Le Bataillon d'exploration tout entier était en ébullition ; chacun s'était vu confier des tâches à accomplir, pour préparer l'expédition dans sa grande globalité. Deux soldats surveillaient en ce moment même la prison où avait été jeté Gabriel. A ce que nous avions appris, la Garnison et les Brigades Spéciales avaient eux aussi subi des agressions de la part du Monstre de la Cité Royale, dont six d'entre elles s'étaient conclues par la mort des soldats concernés. Quatre des Brigades Spéciales, et deux de la Garnison.
Évidemment, la panique commençait à grossir à travers la population. Tout le monde fermait désormais à clé les volets et la porte de leur maison. C'était compréhensible. Ils n'avaient pas envie de se faire assassiner dans leur sommeil par un assassin professionnel.
Des soldats des Brigades Spéciales devaient venir au Quartier Général que les Explorateurs possédaient au District de Trost, pour récupérer Gabriel et le confier au gouvernement afin qu'il soit jugé pour ses crimes commis depuis des décennies. Le Major Shadis et le commandant des Brigades Spéciales s'étaient mis d'accord pour se voir aujourd'hui.
Je me trouvai actuellement dans la cour du Q.G., en compagnie de Lexie, June, et aussi de Hansi qui ne cessait de s'exciter en sachant qu'ils allaient enfin pouvoir partir en expédition Extra-Muros. Elle était surtout contente de se retrouver en face-à-face avec les Titans. Cette fille était vraiment excentrique ! On se demandait tous comment une personne comme Hansi pouvait être aussi heureuse dès que le sujet venait à parler de ces monstres humanoïdes.
Pour en revenir à nos moutons, Hansi, June, Lexie et moi-même nous donnions du mal à vérifier les recharges de gaz pour l'expédition à venir, quand une calèche s'arrêta à l'entrée de la cour. Trois soldats des Brigades Spéciales en sortirent. Trop occupées avec nos vérifications, on ne prêta pas attention aux visages de ces derniers.
Ce ne fut que lorsque l'un d'eux s'approcha de nous qu'un évènement étrange se déroula.

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Le chapitre 16 en ligne, mes petits chats 😊

#Alixassëa l'Elfique

« 𝓣𝓱𝒆 𝓬𝓪𝓹𝓽𝓪𝓲𝓷 𝓸𝒇 𝓶𝔂 𝓼𝓸𝓾𝓵 [SNK ~ Mike X OC] » / TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant