Chapitre 9

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*29 mars 835*

Plusieurs jours étaient passés depuis la réception de la lettre. Mike avait accepté que je dorme dans sa chambre cette nuit-là, sentant que le sujet me tourmenterait. Et il n'avait pas tort : les questions allaient et venaient dans mon esprit, ce qui ne me laissait pas le temps de réfléchir correctement. Tout cela me semblait si irréel... je ne comprenais pas pourquoi mon paternel ne reprenait contact que maintenant. Espérait-il que je lui pardonne l'horreur de ses actes ? Sans doute. Mais moi, il y avait des choses qu'on n'efface pas, même avec le temps, et qui ne méritent pas la moindre excuse. Ce qu'il m'avait fait subir enfant ne s'effacera jamais, je ne pourrais pas le lui pardonner. J'étais trop en colère contre lui pour le permettre.
Erwin, que Mike et moi avions fini par prévenir le lendemain, avait eu la même réaction que nous : comment un père comme Ménélas Eyre pouvait-il se comporter de la sorte ? Avec sa propre fille, qui plus est ? Les parents étaient loin d'être parfaits, comme tout humain sensé, et chacun possédait ses qualités et ses défauts... mais aucun n'adopterait une telle attitude à la mort de son conjoint. Il ne comprenait pas pourquoi mon « père » avait réagi de la sorte à mon égard, et je ne pouvais qu'aller dans le sens de mon ami.
Erna pouvant donner naissance à leur deuxième enfant à tout instant, le « Colonel » Rosenberg était parti passer quelques jours à Shiganshina avec le petit Viktor. Il tenait à s'assurer qu'elle ne manque de rien, jusqu'à l'accouchement. Du coup, nous nous retrouvions tous les trois à occuper nos journées entre quelques entraînements et autres.
Aujourd'hui était notre journée de repos. J'avais rejoint la salle de repas du Quartier Général en étant habillée en civile. On pouvait dire que me voir en robe attirait l'attention, comme je ne portais habituellement que la tenue de soldat — assez masculine, je reconnais. Mais, entre nous, ce n'est pas parce que je m'habillais comme un homme avec la tenue de soldat, que j'étais forcément un garçon manqué.

 Mais, entre nous, ce n'est pas parce que je m'habillais comme un homme avec la tenue de soldat, que j'étais forcément un garçon manqué

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Le sourire désormais remplacé par un air tourmenté sur mon visage, je m'assis à une table vide où personne n'oserait me parler. Là, j'avais besoin d'être seule. De remettre mes idées en place.
Erwin et Mike, dont le jour de repos tombait en même temps que le mien, rejoignirent ma table peu de temps après. Eux aussi étaient habillés en civil. Nous comptions passer la journée à Trost, si aucun imprévu ne se présente d'ici là. Le capitaine Rosenberg n'était toujours pas revenu du District de Shiganshina. Peut-être que son épouse avait accouché beaucoup plus tôt que prévu... Mes amis se posaient également la question.
- C'est curieux, en effet. Clémens n'a pas donné de ses nouvelles. Il y a peut-être eu un problème, ou alors Erna a donné naissance à leur deuxième enfant, déclara Erwin, qui eut la même réaction que moi (les Rosenberg l'avaient recueilli dix ans plus tôt, à la mort de son père). Mais si ça avait été le cas, ils auraient tout de même prévenu, pour la naissance...
- Surtout qu'elle est prévue pour début avril, renchéris-je. Non, je pense que le capitaine veut seulement profiter de sa famille — tu te souviens de son inquiétude, l'autre jour, en recevant cette lettre ? Ça avait l'air hyper grave.
- Oui, Erna avait eu des nausées plus fortes que d'habitude, à ce que j'ai compris. Il n'a pas donné plus de détails en partant avec son fils.
En tant que père de famille, le capitaine Rosenberg savait parfaitement y faire. Il aimait tendrement sa femme et son fils, ça se voyait, et la naissance prochaine du bébé le comblait de encore plus. Sa famille comptait beaucoup pour lui. Pas comme dans certaines familles, où les enfants ne recevaient aucun amour de leurs parents. Cette situation m'exaspérait au plus haut point.
Cela me faisait penser à Junna et Kássandros, ma tante et mon oncle maternels, et aussi au Major Shadis. Ils avaient chacun leur propre façon d'élever leurs enfants à eux (mon cousin Ilías d'un côté, Blanche et Luke Shadis de l'autre), mais ils les aimaient profondément. Ce n'était pas le genre à abandonner ce qu'ils avaient le plus cher au monde dès qu'un problème se présentait. Non, ils se battraient bec et ongle pour les protéger. Pour avoir déjà vu ma tante hyper remontée pour remettre à sa place une mère qui accusait Ilías sans preuve, j'avais une petite idée là-dessus. Personne n'avait envie de chercher des poux aux parents dont l'amour porté à leurs enfants ne connaissait ni loi, ni pitié, ni limite
Je demandai à Erwin si le capitaine lui avait dit quand il reviendrait. Il hésita un instant, avant de répondre :
- Je n'en ai pas la moindre idée. Le major a déclaré que c'était suffisamment urgent pour que Clémens retourne à Shiganshina, mais lui non plus n'a rien voulu dire. Clémens a dû insister auprès de lui pour ne rien révéler.
- Ils se connaissent depuis des années, souligna Mike. Ça prouve que la confiance mutuelle entre eux deux est suffisamment forte pour que le major ne remette pas en doute la parole du capitaine, et partage ses inquiétudes avec lui.
- Ce sont aussi de fortes têtes, ajoutai-je. Le capitaine est le seul à oser dire ce qu'il pense sans risquer de se faire remettre en place par la « spécialité » du Major, ce qui est vraiment exceptionnel. Qui serait capable de contredire ses ordres ?
- Aucun, jusqu'à preuve du contraire, dit Erwin en riant. Il faut être fou pour ne pas avoir peur du coup de boule expéditif du major.
- Pour être expéditif, c'est expéditif, comme tu dis ! Les malheureux feraient mieux de préparer des glaçons à passer sur le front, après s'être fait matés...
L'heure tournait. Il était temps pour nous de filer avant que le jour de congé ne saute pour je ne sais quelle broutille. Les imprévus de dernière minute, ce n'était pas ma tasse de thé, comme ce fut le cas pour la plupart d'entre nous. Ça poussait donc les intéressés à trouver une occupation avant que ça nous tombe dessus sans prévenir.
Nous traversâmes les couloirs du Q.G. de Trost lorsque nous croisâmes June en sens inverse. Elle nous annonça que Honey était partie tôt ce matin, pour rendre visite à sa famille au District de Krolva, où elle était originaire. Idem pour Lexie, qui venait du même coin que Honey. Elles y étaient donc allées ensemble. June n'aura son jour de repos que dans deux jours, et elle pensait voir son frère aîné au District d'Utopia. Il travaillait comme commerçant là-bas. J'avais cru comprendre que, depuis la mort de leurs parents, June et son frère étaient extrêmement proches et qu'ils s'écrivaient presque tous les jours. C'était une bonne chose qu'ils aient gardé de bons contacts, malgré l'éloignement.
Après une discussion de quelques minutes, on salua mon amie, puis on sortit de l'immense bâtiment. Certains soldats s'entraînaient, d'autres discutaient. C'était une journée ensoleillée, sans nuages à l'horizon. Une journée comme une autre.
Depuis la réception de la lettre, aucun de nous n'osait aborder le sujet. Enfin, je continuais à faire comme si de rien n'était, même si ce n'était pas tout le temps évident. Et ça devait se voir à la tête que je faisais : Mike et Erwin respectaient mon silence, et ne jouaient ainsi pas cartes sur table. Ils savaient pertinemment que parler de mon... père était dur pour moi, et ma relation avec lui très compliquée. Ce n'était pas dans leur intention de me blesser ou quoi que ce soit, et je le savais très bien.
Pourtant, mes amis devaient se douter de quelque chose, car je ne me montrais pas aussi joyeuse qu'à l'accoutumée, et je ne participais pas non plus à la conversation.
- Ça va ? s'inquiéta Mike. Tu as l'air complètement abattu.
- T'en fais pas, ce n'est rien. Un coup de fatigue. Ça passera, mentis-je.
En fait, ce n'était pas vrai. Je sentais le tracas m'envahir depuis ce matin — depuis cette nouvelle réception. Ma gorge semblait sèche, incapable de prononcer le moindre mot.
La réception d'une seconde lettre de mon père.
Heureusement, Erwin me sauva involontairement la mise en parlant de l'affaire des ateliers dévalisés (je l'avais complétement oubliée, celle-là) :
- Tiens, j'y pense... Il n'y a pas eu de nouvelles attaques envers les ateliers, depuis quelques jours. Tu sais si les artisans qui travaillent avec ton oncle se sont fait agresser, Akiko ?
- Maintenant que tu le demandes, pas du tout, répondis-je après réflexion. Ma tante m'a écrit que les soldats de la Garnison surveillant l'atelier de mon oncle avaient renforcé les tours de garde pour éviter les mauvaises surprises, mais sinon il n'y a rien. C'est comme si les voleurs s'étaient envolés dans la nature.
- C'est bizarre, en effet, dit Erwin. N'importe quel voleur se renseignerait sur ce qu'ils doivent cambrioler, si le « terrain » était vidé de ses propriétaires,et s'il y avait des objets de valeur, en fonction des rumeurs qui courraient. Ils auraient pris tous les risques, même avec la présence de soldats surveillant les lieux !
- Sauf s'ils sentaient que ça devenait trop dangereux, constatai-je. Avec le nombre de soldats de l'armée mis au courant sur l'affaire, ils ont dû décider de se faire oublier pendant quelques temps.
Ce n'était qu'une théorie, bien sûr. Personne ne pouvait deviner les sombres pensées d'un groupe de voleurs, ou, pire, ceux d'un assassin. Nous n'étions pas à l'intérieur de leur esprit tordu. Qui sait ce qu'ils étaient en train de préparer dans l'ombre ? Sur ce dernier point, je déclarai :
- En tout cas, il vaudrait mieux rester prudent. Les voleurs peuvent attaquer n'importe quand, et on doit être prêts à intervenir.
- Une intervention ! s'exclama une voix dans mon dos. Décidément ton sérieux pour gérer n'importe quelle situation ne cessera de m'impressionner, cousine. Tu sais te montrer prévoyante !
Imaginez le sursaut que nous eûmes, avec Erwin et Mike, en entendant cette voix venue de nulle part. On s'était d'abord regardés, puis on se retourna comme un seul homme vers la personne qui venait de parler. Ilías marchait vers nous avec le sourire. Il nous demanda ce que nous faisions ici, et je lui renvoyai directement la question en lui lançant : « Et toi, qu'est-ce que tu fous là ? Tu n'es pas rentré à Pegasus ? » Très direct, comme retour. Répondre à une question par une question. Faut dire que ce n'était pas vraiment l'idéal que l'on se faisait d'une conversation normale.
- Eh bien vas-y, cache ta joie, dit Ilías en éclatant de rire. Quel magnifique accueil ! Pour quelqu'un qui ne se lève pas du pied gauche, tu parais tendue comme un violon.
Ma parole, mon cousin aurait dû devenir détective privé, au lieu du métier d'artisan aux côtés de son père.
- Continue, et tu recevras le retour des choses, rétorquai-je sur un ton faussement menaçant.
- Ouh là, j'ai drôlement peur ! Et tu feras quoi : la prise de la mante religieuse ?
- C'est fini, oui, de te payer ma tête !
- Non, je viens de commencer. Ça va, les gars ? demanda soudain Ilías à mes amis, qui écoutaient avec amusement — sans intervenir — à notre conversation mouvementée.
Lui, il avait la fâcheuse habitude de changer de sujet dès que l'occasion se présentait. Un jour j'allais étriper Ilías... Mais je l'adorais quand même, cette grande saucisse !
Mon cousin salua tour à tour Mike et Erwin. Il nous apprit que c'était très tendu entre ses parents, en ce moment (une nouvelle dispute pour des broutilles), et que ça se ressentait jusqu'à l'atelier de mon oncle. Ilías ne tenait pas à jouer aux arbitres entre sa mère et son père, la dispute ne le concernait pas. Et puis l'occasion s'était présentée quand il fut décidé d'envoyer l'un des artisans à Trost pour acheter de nouveaux matériaux... et mon cousin avait saisi sa chance. S'il pouvait éviter au maximum les tensions qui régnaient dans la petite entreprise, ça l'arrangerait à merveille. C'est ce qui expliquait sa venue au District de Trost.
Dans un sens, je comprenais la position d'Ilías. Ça ne devait pas être facile de se retrouver entre ses deux parents quand ces derniers se disputaient. Je n'avais pas connu cela avec les miens, ma mère étant morte, mais j'étais contente de ne pas l'avoir vécu. Au moins, je n'en avais pas souffert... et ça avait évité à maman de découvrir l'homme affreux qu'était devenu son mari.
Maman... Penses-tu que Ménélas mériterait une seconde chance ? Ou est-ce que je me montrais trop naïve ? Je ne savais pas quoi penser de ses excuses et de ses regrets, dans sa première lettre. Peut-être me menait-il en bateau pour ensuite me manipuler, qui sait ?
Mais j'avais l'intime conviction qu'il n'en restera pas là. Il serait capable d'envoyer de nouvelles lettres si je ne répondais pas à sa seconde.

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Chapitre 9 en ligne, mes petits chats

#Alixassëa l'Elfique

« 𝓣𝓱𝒆 𝓬𝓪𝓹𝓽𝓪𝓲𝓷 𝓸𝒇 𝓶𝔂 𝓼𝓸𝓾𝓵 [SNK ~ Mike X OC] » / TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant