Chapitre 12

189 5 1
                                    


En arrivant à mon domicile, Agathe décida que je passerai de nouveau la nuit chez elle. Pour ne pas avoir à nous retrouver dans la même situation embarrassante que ce matin-là, je rassemblai quelques affaires et nous partîmes avec son véhicule. Le sommeil de ces dernières heures m'avait revigoré et Agathe semblait d'excellente humeur.

Le pique-nique du déjeuner et la journée au grand air nous avaient ouvert l'appétit. Nous préparâmes ensemble un dîner simple mais agréable. Quand nous fûmes à table, j'en profitai pour lui poser une question qui me taraudait depuis la veille.

- Comment as-tu découvert cette aptitude à transformer les gens en objet ? C'est naturel ou cela s'apprend ?

Elle me sourit, visiblement ravie que je puisse m'intéresser à ses dons.

- Tu sais, Hugues, c'est une histoire assez longue.

- Nous avons toute la nuit, non ?

- Je ne sais pas si tu te souviens, mais j'ai acheté cette maison il y a quelques années maintenant. Mais je ne l'ai pas achetée par hasard. Cette demeure a toujours appartenu à des gens comme moi, des sorciers ou des sorcières. Je pense qu'elle possède son propre sort qui consisterait à écarter tous les non-sorciers des acheteurs potentiels. Quand j'ai pris possession des lieux, j'ai fait le tri de tout ce qu'elle renfermait même si j'ai gardé l'essentiel.

J'avais ainsi l'explication de cette accumulation de meubles qui me frappait à chaque fois que je mettais les pieds chez elle.

- La maison n'avait pas été habitée depuis de longues années. Pas mal de meubles avaient subi les outrages du temps. Je les ai vendus à un de mes amis restaurateurs de meubles anciens. S'ils ne pouvaient pas être réparés, ils pouvaient fournir de la matière pour d'autres restaurations. J'ai gardé le reste pour moi. Parmi les objets que j'ai gardé, il y avait un coffre extrêmement abîmé. Il devait dater du XVIe siècle avec son cadre en fer et ses clous caractéristiques. Il ne tenait debout que par la grâce des éléments de ferronnerie. Le bois était en mauvais été et des morceaux de la maçonnerie de la maison était tombés dessus. Je me suis dit qu'en remplaçant les planches de bois par d'autres moins fatiguées mais aussi ancienne, je pourrais en tirer quelque chose. Je l'ai donc rangé dans mon entrepôt que tu connais en attendant d'avoir l'occasion de le rénover. Ensuite, je n'y ai plus vraiment pensé.

Et puis un jour où je me suis rendue là-bas. Le soleil était pile dans l'axe quand j'ai ouvert la porte. Et là, la lumière s'est reflétée sur l'armature métallique du coffre. Mais surtout, une fissure dans le couvercle a fait apparaître ce qui ressemblait à un parchemin, à peine visible. Comme un client attendait dans ma boutique, je n'ai pas insisté. Mais le soir, après la fermeture, je suis retournée dans mon entrepôt.

Agathe fit une pause. Je buvais chacune de ses paroles. J'avais déjà remarqué son aptitude à tenir son auditoire et ses clients en haleine quand elle racontait l'histoire d'un meuble, d'un tableau ou de tout autre objet qu'elle voulait vendre. Elle agissait de la même façon avec moi.

- Il fallait que je sois minutieuse. Je voulais retirer ce parchemin en entier, sans le déchirer mais aussi sans endommagé le coffre plus qu'il ne l'était. Il m'a fallu des heures pour démonter progressivement le couvercle. Il était constitué de nombreuses armatures en fer forgé. Quand j'ai réussi, je me suis aperçue que le parchemin était caché dans une sorte de compartiment secret. J'ai fini par l'ouvrir à force de patience. J'ai d'abord été déçue en constatant que le parchemin, bien qu'en assez bon état, n'était qu'une partie d'un texte plus long. Mais surtout, j'étais frustrée parce que je ne pouvais pas le déchiffrer.

- Pourquoi ? intervins-je. Si je me souviens bien, tu as fait des études de lettres classiques, tu as appris le latin, le grec et tu es assez douée en paléographie.

- J'ai découvert que le texte était en français médiéval, mais mal orthographié avec de nombreuses contractions et beaucoup de mots d'une sorte de patois dont j'ignorais l'origine. Même avec mes connaissances, cela le rendait presque inintelligible. Je crois que la personne qui a rédigé ce parchemin avait si peur qu'on tombe dessus, qu'elle a fait tout le nécessaire pour en rendre la lecture difficile. Heureusement, à l'arrière du document, il y avait quelque chose d'écrit dans un style plus moderne et en latin. Sans doute par une sorcière ayant eu ce parchemin entre les mains longtemps après que l'auteur ait écrit le texte originel. Ça disait ceci :

Ce sort m'a donné énormément de plaisir tout au long des années. Mais à présent je suis trop vieille pour apprécier à leur juste valeur les plaisirs de la chair. De plus mon partenaire dans cette magie s'en est allé, je n'aurai plus le même enthousiasme à jouir de cette magie. Alors à toi, ma fille en magie, je tiens à t'écrire ces quelques lignes. Sois prudente dans ta façon d'utiliser ce sort et n'oublie jamais qu'il a ses limites comme toute magie. Rappelle toi que tu ne peux changer un homme en un objet précis qu'une seule fois. La transformation suivante devra être différente. L'objet dans lequel tu le transformeras devra être uniquement féminin et le sort ne s'effectuera que si tu touches en même temps l'objet et l'homme que tu as choisi. Tu devras toujours maintenir un contact physique avec lui. Au moment précis où il cessera d'être en contact avec ta peau, il commencera à reprendre sa forme naturelle. Et rien ne permettra d'interrompre ce retour à son état. Le sort est limité dans le temps. Irrémédiablement, ton sujet redeviendra homme à la fin de ce temps imparti. Bien sur, tu peux le retransformer immédiatement mais dans un autre objet.

Tu peux également te transformer. Mais l'objet devra être un de tes effets personnels. Un homme devra être présent dans la pièce. Une fois transformée, tu pourras faire varier la taille et la forme de l'objet à ta convenance, aussi souvent que tu le désireras. Mais tu ne pourras rester transformée plus de cinq minutes ou si l'homme quitte la pièce. Dans ce cas tu redeviendras toi-même mais lentement. Si tu veux reprendre apparence normale en étant transformée, tu n'auras qu'à penser à la formule. J'ai utilisée ce sort bien des fois pour me cacher de mon époux, me transformant quand il entrait et redevenant moi-même quand il sortait d'une pièce.

Voilà, dans les grandes lignes, ce que disait le message à l'arrière.

EnsorceléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant