Je m'appelle May Lane, c'est le nom qu'a choisi de me donner ma mère juste après ma naissance et peu de temps avant sa mort, mais on m'appelle communément juste Lane. Mon nom de famille n'a plus aucune importance. Je ne sais pas ce que ressentent les autres personnes mais pour moi, l'enfance était la meilleure période de ma vie.
Jusqu'à mes sept ans j'ai vécu avec ma tante Marise, la petite sœur de ma mère. Tante Marise s'est toujours bien occupée de moi. Nous n'étions pas riches et vivions dans une petite maison dans un village perdu dans la montagne mais nous étions heureuses, du moins je l'étais. Il y avait juste deux tabous dans ma vie. Le premier était mon père dont je ne savais rien ni son prénom ni même s'il était encore en vie. Le grand paradoxe était que tante Marise aimait parler de Gabrielle, ma mère, alors qu'elle évitait soigneusement d'aborder le sujet de mon géniteur. Elle me montrait souvent des albums photos dans lesquels on pouvait y voir ma mère sous toutes les coutures. En voyant ces photos j'en avais déduite une chose: je devais ressembler à mon père. Tante Marise et ma mère se ressemblaient énormément, normal c'était des soeurs. Elles étaient toutes les deux brunes aux yeux marron, le visage plutôt rond, de taille moyenne. Tante Marise avait les cheveux assez raides tandis que ceux de ma mère étaient plus ondulés. J'ai dû hériter de la nature de ses cheveux et aussi de la couleur de sa peau un peu mate. Pour tout le reste, je pense que cela vient de mon père à commencer par la couleur de mes cheveux et de mes yeux. Certains diraient qu'ils sont d'une couleur cuivrée, pour moi ils ont la couleur du feu. Cette couleur ne venait pas du côté de ma mère, cela ne faisait aucun doute, il n'y avait jamais eu aucun roux dans la famille. Il n'y avait d'ailleurs aucun roux dans mon village natal. Je ne pouvais donc avoir hérité de cette particularité que de mon père qui devait venir d'un endroit très lointain. J'avais de plus entendu de tante Marise que ma mère avait travaillé dans un château pendant deux ans et qu'elle avait arrêté quelques mois avant ma naissance. J'imaginais donc que mon père était un chatelain ou même mieux un prince ou le roi d'un pays étrangé. Il ne devait pas connaître mon existance parce que sinon il serait venu me voir, ma mère devait m'avoir eu sans qu'il ne le sache.
Le second tabou, bien plus gênant, était une certaine capacité que j'avais à voir l'aura des êtres vivants qui m'entouraient. Je l'appelais aura car je ne savais quel nom lui donner et je trouvais ce mot magnifique comme ce que je voyais. L'aura est quelque chose qui existe pour tous les êtres vivants qu'ils soient animaux ou végétaux. Ce n'est pas un halo lumineux comme on le représente souvent mais une chose inhérente à la vie qui fait partie de chacun. L'aura diffère selon les personnes, à une couleur différente, une odeur différente et même un goût différent selon les individus. Je ne fais pas que voir l'aura, je peux la ressentir de tout mon être. J'ai toujours eu cette capacité et je pensais que tous les êtres humains et peut-être tous les êtres vivants en étaient capables. Je ne me suis même aperçu que tardivement du fait que je me nourrissais de l'aura des autres.
La première fois que j'en ai parlé à tante Marise c'était après qu'on ait rendu visite à mon grand-père mourant. Je devais avoir cinq ans. Cela faisait déjà plusieurs années qu'il était malade mais là c'était la fin, sa fin et on allait souvent le voir à l'hôpital. Après une de ces visites j'ai senti qu'il n'en avait vraiment plus pour longtemps. J'ai alors dit à tante Marise: "L'aura de Papi est devenue toute petite... on dirait qu'il va..." Ma tante a serré ma main un peu plus fort et a acquiescé silencieusement avant de se tourner vers moi les yeux écarquillés:
-Son aura, m'a-t-elle demandé. De quoi est-ce que tu parles exactement?
-L'aura de Papi n'a fait que diminuer et maintenant elle est toute petite, expliquai-je. Elle est tellement faible, c'est comme si elle pouvait disparaître à tout instant.
Je la voyais pâlir au fur et à mesure de mon explication. Elle serrait ma main de plus en plus fort, sa lèvre tremblait légèrement. Je réfléchissais à toute vitesse essayant de savoir si je n'avais pas commis une bêtise sans m'en rendre compte. Et puis elle s'est accroupie pour se mettre à ma hauteur, ces yeux brillaient légèrement.
-Ah Lane, a-t-elle dit en poussant un soupir, j'aurais dû m'en douter. Je ne sais pas ce que tu appelles aura mais je ne la vois pas.
-Tu ne la...
-Non et il n'y a pas que moi qui ne la voit pas, personne à part toi ne la vois. Écoute-moi bien Lane, je voudrais que tu ne parles de cela à personne. Ce que tu vois, ce n'est... pas normal. Tu comprends? Personne ne doit le savoir, personne. Ça restera juste un secret entre toi et moi.
Sur le coup, je n'ai pas compris, j'étais juste heureuse de pouvoir partager un secret avec ma tante et j'avais l'impression d'être extraordinaire. On a ensuite marché jusqu'à la maison. Une fois rentrée, j'ai remarqué que tante Marise me jetait de fréquent coup d'oeil. A un moment elle m'a arrêté et plongé son regard dans le mien.
-J'aurai du m'en douter, a-t-elle dit d'une voix à peine audible avant de me demander, et l'aura tu ne fais que la voir, l'aura?
-Oui, ai-je voulu affirmer mais aucun mot n'est sorti.
Je suis restée la bouche ouverte, comprenant pour la première fois que je ne faisais pas que voir l'aura mais que je m'en nourrissais également.
-C'est bien ce que je pensais. C'est pour ça que j'étais tout le temps fatiguée! Ce n'est pas bien Lane, vraiment pas bien. Tu es suffisamment grande maintenant pour savoir ce que tu fais. Je ne veux plus jamais que tu prennes l'aura de qui que ce soit!
Cette nuit-là j'ai pleuré jusqu'à ce que je m'endorme car j'avais compris que c'était moi qui avais tué ma mère.
Papi est mort le lendemain, mais je jure que je ne lui ai jamais pris son aura, je ne la prends pas aux personnes faibles ou malades. Et si je lui en aie pris cela n'a jamais été fait de manière consciente.
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Avant l'Aube
SonstigesJe suis froide mais pas calculatrice, je pense que ce sont les mots qui me décrivent le mieux. Je vivais une vie presque ordinaire avec ma tante même si j'avais toujours su que je n'étais pas tout à fait normale. Naïvement je croyais que le jour où...