Chapitre 3 - Jack

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Les aiguilles de ma montre affichaient cinq heures du matin. Le tintamarre d'assiettes s'entrechoquant avait eu raison de mon sommeil. À entendre les bruits provenant de la cuisine, il n'y avait pas que la vaisselle qui souffrait de son humeur exécrable. Les portes des placards ainsi que le sol enduraient également le mécontentement de la maîtresse des lieux. Les unes étaient refermées dans un claquement sec, pendant que ses pas martelaient le parquet comme un troupeau d'éléphants en marche vers un point d'eau. Heureusement que l'appartement répondait aux normes d'insonorisation, auquel cas elle aurait déjà eu droit devant sa porte à une orde de voisins mécontent de son tapage matinal.

Je frottai mes mains sur mon visage. La journée n'allait pas être des plus faciles pour Ashley et il me fallait réfléchir à un angle d'approche si je voulais l'aider à la traverser. Hier soir, en vain, j'avais tenté de chasser ses peurs. Sournoisement, elles s'étaient glissées dans son sommeil, la réveillant trempée de sueur. Des gémissements où s'entremêlaient des mots allusifs à des brides de son passé avaient empoisonné sa nuit. Y repenser accentua mon sentiment de culpabilité.

En rentrant de chez Catherine, face à son rejet, toute l'euphorie de notre relation de ces six derniers mois s'était envolée, me précipitant dans un obscur brouillard. Si au moins, elle avait revêtu son masque habituel, cette dureté dont elle savait faire preuve lorsqu'elle se protégeait, alors peut-être que sa phrase aurait été moins dévastatrice. Mais non! Elle s'était exprimée avec un tel calme que pour la toute première fois, elle me fit douter de l'issu de notre histoire.

Et l'instant d'après, elle me demandait de l'accompagner à son rendez-vous avec la notaire en charge de la succession de ses parents. La fragilité dans sa voix, sa manière si discrète de solliciter mon soutien, son regard vide, j'aurais dû comprendre à ce moment-là. Cependant à la place, je m'étais recroquevillé et avais laissé ma colère se nourrir de ma déconvenue.

De retour à son appartement, dans un silence pesant, je m'étais directement dirigé sous la douche profitant d'être seul pour tenter de remettre de l'ordre dans le tumulte de mes émotions. Je m'étais senti berné. Moi qui étais convaincu d'avoir réussi à lui faire entrevoir l'avenir radieux qui s'offrait à nous. La réalité m'avait rattrapé. Tandis que les puissants jets d'eau chaude martelaient le dessus de mon crâne, persuadé que mes sentiments ne faisaient pas écho à ceux de Ashley, je me traitai d'idiot. N'était-ce pas mieux alors que je renonce à elle? m'étais-je demandé tout en frictionnant vigoureusement mon corps. Mais cela signifiait rompre ma promesse.

J'avais toujours su que viendrait le moment où elle essayerait de me fuir, de nous fuir. N'était-ce pas pour cela qu'elle m'avait demandé de prendre l'engagement de toujours la rattraper? Tel un braqueur convaincu d'avoir commis le braquage parfait après les mois de douce tranquillité que nous venions de passer ensemble, je me pensais à l'abri. Ce fut précisément au moment où bouillait en moi ce raz-de-marrée pensées que j'avais senti ses longs doigts fins effleurer mon dos. Avant de lui faire face, il m'avait fallu taire mon désarroi pour ne pas lui montrer l'ampleur du cataclysme qui me consumait. Quand enfin j'y étais parvenu, ses yeux verts...le chagrin...son regard reflétait un tel déchirement.

Après une hésitation tout juste perceptible, elle avait joint nos deux corps et scellé nos bouches dans un baiser dont la douceur de ses lèvres mélangée à la délicatesse de leur pression, était une invitation à l'amour. Au moment où ses mains quittèrent mes cheveux pour nouer ses bras autour de ma nuque, je l'avais alors soulevée pour la plaquer contre le mur de la douche. Ses jambes enroulées autour de mes hanches, je m'étais glissé en elle lentement, lui laissant le temps de trouver la cadence qui déclencherait notre frénésie commune. J'étais alors perdu. Ce qu'elle m'offrait entre ses bras. Sa façon de me faire l'amour. Comment ne pouvait-elle rien ressentir pour moi? Ses baisers, ses doigts parcourant ma peau, ses gémissements au creux de mon oreille... La sentir tout contre moi aussi éprise m'avait bouleversé, mais ce qui m'avait le plus chamboulé ce fut de prendre conscience que pour la toute première fois depuis notre relation, ce fut elle qui venait de me rattraper.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant