Notre valse en trois temps - tome 2 - Et si

Chapitre 5 - Ashley

Il n'existait aucune mesure me permettant de quantifier ma reconnaissance envers Jack. Sous son regard enveloppant et sa poigne ferme, il était le bras qui m'aidait à supporter cette journée.

Mais pas que!

Mon protecteur...Depuis que lui et moi étions ensemble, il occupait ce rôle. Sans être étouffant, il était là, veillant en toute discrétion que mon passé ne me tourmente plus. Et

tandis que Madame Stephenson introduisait une clé dans la serrure de la porte d'entrée, j'espérais que la magie de Jack opérerait une nouvelle fois.

Ma salive prit un goût si amer qu'il me fut difficile de déglutir. Après toutes ces années, il y avait de forte chance que la rouille se soit installée dans les rouages de la porte rendant impossible son ouverture. Ce serait le signe m'intimant de rester loin d'elle. Et si c'était la voie du destin, qui étais-je pour la défier? Le cliquetis d'une serrure à trois points en excellent état de fonctionnement se fit entendre scellant mon sort.

— Après vous, m'invita Madame Stephenson en s'écartant du chambranle.

Avant de la lui rendre, je pressai une dernière fois la main de Jack. Il s'agissait de mes fantômes, pas des siens. Il me revenait de les affronter sans me retrancher derrière de suite mon petit ami.

Quelle belle ironie!

J'avais vraiment bien choisi mon moment pour accepter l'évidence. Une fois les papiers de la succession signés, je m'entretiendrai avec Jack. Aussi difficile soit-il, je lui devais d'être honnête. Il le méritait.

Encouragée par ses yeux couleur océan, je franchis le seuil. Tout ce que je m'étais imaginée, une maison sombre, triste, uniquement habitée par les lambeaux du passé où chacun de mes pas cohabiterait avec les craquements d'un parquet détérioré par le temps, n'était que mensonge. En passant la porte, la noirceur aurait dû m'étreindre, mais à la place je fus accueillie par la lumière. À travers les larges baies vitrées, elle m'inondait.

Je m'étais préparée à ce que les pièces soient aux prises avec une poussière suffocante, s'infiltrant dans ma peau et m'étouffant un peu plus à chaque respiration. Mais mes poumons se gonflaient sans l'ombre d'une gêne. Le parquet en chêne massif, en parfait état, ne faisait pas chanter mes pas dans un concert de grincements. Poussée par des brides de souvenirs qui s'esquissaient dans ma mémoire, je continuai à déambuler entre les pièces sans tenir compte de la présence de Madame Stephenson et de celle de Jack. Celle où je me trouvais ne me rappelait pas grand-chose. Pourtant, je n'arrivai pas à me défaire d'une impression de quiétude.

Au centre d'un mur, une cheminée entourée d'un manteau en bois blanc, avec pour décoration sur la façade, une gravure représentant des fleurs d'orchidées dans leurs différentes phases d'éclosion, renforçait la sensation de plénitude qui se dégageait de ce lieu. Ici aussi les meubles étaient recouverts d'un drap. À voir les formes qui se distinguaient sous les bandes de tissu, j'étais dans le salon. Trois larges fenêtres donnaient sur un pin gigantesque. Etrangement, en dépit de son imposante taille, en arrivant je ne l'avais pas remarqué. Il était si majestueux que je me demandai comment avais-je pu le manquer?

Tout en le contemplant, un souvenir encore brumeux se fraya un chemin. Le vent sur mon visage, un sentiment de fierté, un sourire encourageant, une voix comme une caresse nous demandant de rentrer et entre mes mains un semis de pin.

Je me laissai tomber sur l'un des fauteuils tout en restant focalisée sur cet arbre. Il était le pont vers un instant précieux...Une petite fille aux boucles dorées. Autour d'elle, les feuilles commençaient à jaunir. Quelques unes d'entres elles jonchaient le jardin ainsi que l'allée devant la maison. Le parfum de l'automne emplissait ses poumons, mes poumons. Dans un manteau bleu azur, j'applaudissais Jacob tout en sautillant, pendant qu'il mettait en terre ma jeune pousse. Depuis les marches du perron, Lyly nous parlait, mais je n'arrivai pas à me rappeler ses mots.