Notre valse en trois temps - tome 2 - Et si

Chapitre 48 - Ashley

L'île de Carriacou se méritait!

Pure foutaise, maugréai-je intérieurement tandis que je vidai pour la énième fois le contenu de mon estomac. La tête renversée dans un seau, soumise à de violents spasmes, à vingt-neuf ans, je résolvais une énigme cruciale. De celle qui bouleversait votre existence ou du moins me concernant, mes toutes premières vacances avec Jack. Être à bord d'un catamaran voguant sur les eaux chaudes cristallines au côté de l'homme qui m'avait promis de l'exotisme et du dépaysement n'avait finalement rien de romantique. Surtout si comme je venais de le découvrir, avoir le pied marin n'était pas un talent qui s'improvisait. Comme conseillé par Jack, j'avais beau fixer droit devant moi, au loin, ce fichu point, rien n'y faisait. Le mal de mer était plus fort.

Pourtant tout avait si bien commencé. Ni les dix-huit heures de vol, ni les trois changements d'avion pour atteindre la capitale de l'île de la Grenade, n'avait terni mon enthousiasme de me retrouver avec Jack pour une semaine, loin de notre quotidien. Tout juste arrivé à Saint-Georges, en apprenant que notre périple pour rejoindre notre petit coin de paradis ne prendrait fin qu'après une traversée de deux heures à bord d'un bateau luxueux, mon euphorie était restée à son paroxysme. D'un sourire aguicheur, juste après lui avoir murmuré que je mettrai à profit ce temps pour me rappeler la saveur de son corps sous ma langue, mes lèvres avaient ensorcelé les siennes. La perspective de me voir agenouillée devant lui, mes yeux soumis à l'ardeur de son regard pendant que ma bouche se refermerait sur son sexe, avait attisé l'intensité de notre baiser.

Mais le roulement des vagues sous les coques du catamaran avait totalement annihilé mon appétit sexuel. Mes tétons qui étaient sur le point de percer le coton de ma robe, il y avait encore quelques minutes de cela, s'étaient repliés sur eux-mêmes. Quant aux picotements qui embrasaient la jonction entre mes cuisses, ils avaient été remplacés par de douloureuses crampes d'estomac et un oesophage en feu. Et depuis, toutes mes pensées étaient concentrées sur ce débarcadère situé à plusieurs miles sur lequel je rêvais de poser le pied. Pour préserver ma santé mentale, il devenait crucial que je dépose ne serait-ce qu'un orteil sur la terre ferme.

Et vite!

Une série de vagues plus intenses ballota de gauche à droite le catamaran. Des gouttes de sueur perlèrent sur mon visage, et alors que des tremblements s'emparèrent de mon corps, ma tête se mit à tourner, brouillant ma vue. J'eus tout juste le temps de me saisir du seau avant qu'un flux sans fin jaillisse de ma bouche.

— Je suis là, H, me réconforta Jack tout en retenant mes cheveux afin qu'ils ne se retrouvent pas couvert de vomi.

Mes forces étant quasi épuisées, je n'eus pas l'énergie nécessaire pour lui répondre. Mais sous mes traits d'une pâleur fantomatique, j'espérai qu'il décèlerait mon immense gratitude.

— Ça va aller, ma tendre ensorceleuse.

Sa large main descendit, puis remonta plusieurs fois le long de ma colonne vertébrale. La chaleur de sa paume à travers le tissu de ma robe me réconforta. Ses mots aussi étaient source d'apaisement.

— Ton calvaire est bientôt terminé. Nous avons parcouru plus de la moitié du trajet.

Ou peut-être pas!

La moitié! Je n'étais qu'à la moitié de mon calvaire. Je réunis mes toutes dernières forces, et à l'aide de mes mains, ramenai contre ma poitrine mes jambes qui n'étaient plus que deux bouts de chairs flasques sans aucune once de vitalité. Puis, ma joue tomba sur mes genoux et sans que je ne puisse les retenir des larmes inondèrent mon visage. Nos vacances viraient au cauchemar, et je me haïssais d'imposer ces images d'horreur à Jack. Lui qui nous avait offert un voyage de rêve pour fêter notre premier anniversaire, voilà que je gâchais tout. Et alors que j'étais contre ce genre d'effusion, mes pleures redoublèrent m'obligeant à produire le reniflement d'un animal blessé.