Notre valse en trois temps - tome 2 - Et si

Chapitre 60 - Ashley

J'étais à vif. Pas mes nerfs. Non. Mais mon coeur, oui. Mon corps, aussi. Je m'étais exposée. Je m'étais livrée à lui, et j'en payais le prix. La réalité n'était qu'une garce. Elle était devenue limpide à sa manière de me revendiquer sous les regards de mes proches. J'avais été sa marionnette. Son mépris, l'indifférence avec laquelle il m'avait traité n'avait que pour seul objectif de me préciser qui de nous deux menait le jeu. Et ce n'était pas moi. Si ces derniers jours, je culpabilisais d'avoir précipité la fin de notre histoire, maintenant j'étais sous l'emprise d'une rage profonde. Cet homme, celui pour qui mon coeur se gonflait au rythme de sa respiration m'avait délibérément blessée. Et pourquoi? Juste pour me donner une leçon.

Les mains tremblantes, je débouchai la bouteille de château Margaux entamée hier soir et remplis mon verre d'une bonne rasade. La première gorgée coula le long de mon oesophage. J'expirai lentement, savourant la sensation de chaleur qui se diffusait sous ma peau. Et alors que je ramenai mon verre à mes lèvres, j'interrompis mon geste. Derrière moi, la porte de la cuisine conduisant au garage venait de se refermer dans un bruit quasi sourd. Son aura, celle qui enivrait mes sens dès qu'il était proche de moi, m'envahit, et je dus enfoncer mes ongles dans ma paume pour empêcher ma colère de se volatiliser. Elle était mon unique rempart pour que je ne succombe pas à ses yeux doux, et lui livre à nouveau le goût de mes lèvres.

— H, regarde-moi.

Cette demande, dans l'habitacle de la voiture, il me l'avait répétée à maintes reprises. Lâche, j'étais restée ancrer à la vitre passager. Mon esprit était alors englué dans des pensées que je voulais garder secrètes. Face à Jack, en dépit de tous mes efforts, j'avais toujours été un livre ouvert. Il déchiffrait chacune de mes expressions. Et pour le moment, la seule que je m'autorisais à lui délivrer était la hargne qui rougeoyait mon sang. Puis après tout si l'envie lui prenait de se rappeler la catatonie dans laquelle il m'avait plongée, il n'avait qu'à déverrouiller son téléphone portable. Qu'il avait dû jubiler en écoutant mes messages larmoyants, et mes supplications. Sinon comment expliquer l'assurance qui l'arborait chez Hurl? Comment expliquer son baiser qui n'était pas moins qu'une démonstration de pouvoir?

— Mon amour, s'il te plaît, regarde-moi.

Ce n'était pas un ordre, mais une prière. Sa voix habituellement si grave n'était plus qu'un râle qui enflamma chacune de mes terminaisons nerveuses. La chaleur de ses bras, ce sentiment de sécurité qu'ils me procuraient me manquait tant. Je fermai les yeux, pour ne pas céder. En tout cas pas dans l'immédiat.

— Tu ne vas pas passer toute la soirée à m'ignorer.

Sous le choc, mes paupières se relevèrent, et je répondis à sa prière. Ma colère me comprima si fort la poitrine que je ne tombais pas dans l'immensité de ses yeux bleus. Je m'y ancrais sans véritablement le voir. Il n'y avait que mon coeur meurtrit qui comptait.

— Et pourquoi? C'est un droit qui t'est exclusivement réservé?

Les muscles de sa mâchoire ses contractèrent, contrastant avec son calme apparent.

— Tu veux que je te regarde, très bien. Alors, fais-toi plaisir! Délecte-toi. Admire la peine, l'humiliation que tu m'as infligée. Nourris t'en.

Je relevai un peu plus mon menton pour accentuer l'emprise de mes mots.

— Tu m'as ignorée comme si je n'étais rien, comme si nous deux ce n'était qu'illusoire. Et tout cela pour revenir la bouche en coeur. M'embrasser! Tu m'as prise pour une propriété dont tu pouvais jouir à ta guise.

Les mots s'engouffraient à profusion dans ma tête et tous désiraient franchir le seuil de mes lèvres.

— Tu dis m'aimer! Alors à mon tour de te donner une leçon. Aimer ce n'est pas cela, ce n'est pas blesser volontairement l'autre en représailles. Ce n'est pas se murer dans le silence, et laisser l'autre dans l'incertitude. Tu m'as contrainte au coma. Mon coeur, mon corps, j'étais éteinte.