Chapitre 20 - Jack

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Cette journée était enchanteresse tout comme son organisatrice. Ma petite ensorceleuse avait réussi le coup de maître de me surprendre. Sa surprise nous avait enveloppé dans un instant inoubliable, parfait et pourtant si simple. Il était tout juste quatorze heures et une légère brise adoucissait les rayons du soleil dont la chaleur avoisinait les vingt-huit degrés. À l'ombre d'un saule pleureur, je savourai les notes de musique qui s'échappaient du feuillage ondulant sous le vent. Cette douce mélodie me tranquillisait tout en me divertissant pendant que je contemplai Ashley. La tête posée sur mon flanc avec ses deux mains jointes sous sa joue, j'admirai la sérénité qui se dégageait de ses traits. Sa respiration légère. Son demi-sourire aux lèvres. Si j'avais hérité du don artistique de ma mère, je me serai empressé de l'immortaliser sur une toile. Mais étant un piètre dessinateur, à la place je m'emparai d'une mèche de cheveux et l'entortillai comme à mon habitude autour de mon index. J'adorai les voir rebondir tel un ressort une fois que je les libérai.

Allongés sur un drap aux teintes écru et rouge, seul nous deux existait, comme si la planète nous rendait hommage en enrayant la présence de tous ses habitants et de leurs bruits assourdissants. Mais cela n'était qu'une illusion qu'Ashley avait réussi à créer grâce à un panier de pique-nique délicieusement garni et à un emplacement de choix dans la partie nord-ouest de Central Park, juste autour du lac The Pool. Organiser un brunch en faisant appel aux services d'un jeune boulanger français, installé depuis peu sur New-York, mais dont le succès était déjà retentissant, était une excellente idée. Son menu gourmand était un voyage culinaire qui me renvoyait des années en arrière sur le quai de l'île de la Cité située sur les bords de Seineen plein cœur de Paris. À chacun de mes passages dans la capitale française, j'adorai y retrouver mes amis pour déguster un plateau de fromages et de charcuteries autour d'une bouteille de rosé.

À l'image de sa gourmandise, Ashley avait eu les yeux plus gros que le ventre. Si nous avions été rejoints par une famille d'ogres, nous ne serions tout de même pas arrivés à bout de toutes les spécialités qu'elle avait commandé pour notre pique-nique. C'était un brunch destiné à tout un régiment qu'elle avait organisé. Ses choix s'étaient portés sur des viennoiseries, des petits gâteaux de toutes sortes tels que des madeleines, des cannelés et des macarons aux goûts surprenants. Sans compter les minis-sandwiches au foie gras ainsi que les pains pour accompagner la charcuterie et les fromages. Le tout accompagné de boissons chaudes et froides faîtes maison. Lorsque triomphalement, elle avait sorti du panier les Thermos contenant le café, le thé ainsi qu'un mélange de jus de carotte, d'orange et d'ananas, le tout relevé par une pointe de gingembre, son visage rayonnait. Le vacarme en provenance de la cuisine, tôt ce matin pendant que j'étais confiné dans ma chambre, avait trouvé son explication. Comme une enfant attendant son bon point, elle m'avait fixé de ses grands yeux verts pour scruter chacune de mes réactions pendant que je goutai chacune de ses préparations et ainsi découvrir si je les appréciai ou non. Beaucoup dirait qu'il n'y avait rien de sensationnel à préparer du café et un jus frais, mais pour Ashley, c'était une première. Connaissant son aversion pour toute forme de préparation culinaire, c'était un petit geste qui exprimait tellement de choses... Quand enfin, je lui avais donné mon verdict, un petit cri enthousiaste s'était échappé de sa bouche qu'elle avait essayé de suite de contenir en pinçant ses lèvres. Tout simplement adorable.

Dans le lac, deux canards profitant de la fraîcheur de l'eau, entamèrent une discussion tonitruante dans un mélange de coincoin et de cancane. Ashley émit un léger gémissement de protestation. Après avoir mangé comme une ogresse, le tout accompagné de deux coupes d'un Dom Perignon vintage rosé, elle s'était assoupie en moins de quelques secondes. Du bout des doigts, je parcourais son visage m'attardant sur ses sourcils, le contour de ses yeux, l'arête de son nez et ses lèvres. Je passerai une vie à les embrasser sans jamais m'en lasser, tout comme son corps. Et dire que ce matin, elle m'avait convaincu de remettre à plus tard notre petit moment intime, me privant ainsi du contact de sa peau. Nouveau gémissement de protestation. Sa jambe plâtrée l'empêchait de changer de position. Vivement qu'elle puisse se débarrasser de son plâtre afin de retrouver l'usage de tous ses membres. Mais alors, au revoir, Ashley. Retour à nos existences loin l'un de l'autre, dans deux pays différents, se voyant tout juste quelques jours par mois. Finalement, après mûres réflexions, son plâtre ne me déplaisait plus, il gardait Ashley à mes côtés. C'était l'aspect positif de sa mésaventure. Le temps de son rétablissement, elle avait emménagé à la maison m'offrant un aperçu de la vie de couple que nous pourrions avoir. Nous deux, sous le même toit, pour toujours. J'aspirai à cela.

Maintenant à voir où ma petite amie si époustouflante voudrait s'installer... En tout cas, durant les dix-huit prochains mois, en raison de sa résidence en chirurgie, sa vie resterait attachée à Toronto. Et ensuite une fois médecin, peut-être pourrait-elle réfléchir à exercer à New-York? Cette option me semblait très peu probable. Je ne l'imaginais pas s'éloigner de Catherine. Aucune technologie ne pourrait assouvir son besoin d'être près d'elle. Et qu'en était-il de moi? Je pourrai envisager revenir m'installer à Toronto. Mais qu'adviendrait-il de mes restaurants? Les mettre chacun en gérance était l'option la plus favorable, dès lors où je trouverai les deux perles rares. Je pourrai alors ouvrir un nouvel établissement et vivre avec Ashley. Tout en imaginant mon éventuel emménagement sur Toronto, à mon tour, je me laissais gagner par le sommeil.

Cela faisait un bout de temps qu'il ne m'avait pas rendu visite. Mon père...Mon frère, ma soeur et moi étions dans la salon sagement assis. Entouré de ses trois enfants, les bûches crépitant dans la cheminée, mon père nous racontait comment il avait sauvé ma mère des griffes d'un affreux lascar et que suite à son courage, elle était devenue éperdument éprise de lui. Il avait une façon tout à fait singulière de nous conter sa rencontre avec ma mère, mêlant suspens, bravoure, humour et coup de foudre. Pourtant même si ce n'était qu'en rêve, j'adorai revivre ces moments où mes parents se taquinaient pour savoir qui de l'un ou de l'autre avait forcé le destin. Selon mon père, c'était tout à fait innocemment que son verre de Bloody Mary s'était retrouvé sur le costume trois pièces de l'homme qui s'intéressait de trop près à la plus belle femme du bar. L'avis de la protagoniste divergeait.

— Un seul battement de cils et votre père fut indéniablement et profondément amoureux de moi.

La voix de ma mère toujours aussi mélodieuse. Un air vaincu se dessina sur le visage de mon père ce qui entraîna notre hilarité à tous. Je voulus me lever pour le toucher, le respirer. Me souvenir la chaleur, le parfum de sa peau. Il me manquait tant. Le voir dans mes rêves était tout ce qu'il me restait, mais avant que je ne puisse l'atteindre son souvenir commença à s'atténuer. La longueur de ses cheveux. Les ridules au coin de ses yeux. Ses larges mains... Un brouillard grisâtre l'enveloppait, l'effaçant lentement.

— Chut, Jack, je suis là.

Tel un électrochoc, le timbre de sa voix me ramena dans le monde des vivants. Ashley était là. Juste au-dessus de moi caressant mes cheveux pour me rassurer comme une mère le ferait pour chasser le cauchemar d'un de ses enfants.

— Tu as crié dans ton sommeil.

Mince alors!

— Désolé de t'avoir inquiété, dis-je en effleurant son visage

— Il y avait un tel désespoir dans ta voix.

— Tu n'as pas à t'en faire.

Avant de poursuivre, elle me scruta à la recherche de réponses. Et j'espérais que j'avais réussi à reprendre une certaine contenance pour la rassurer et la convaincre de changer de sujet.

— Tu as crié le nom de ton père.

Loupé, elle ne me lâcherait pas. Alors autant me confier.

— Les traits de mon père commencent à s'estomper.

— Jack...

— Et j'ai terriblement peur, émis-je essoufflé tant mon cœur se comprimait. Je ne veux pas oublier l'homme qu'il était, cette sensation de force que je ressentais quand il me prenait dans ses bras. Son rire franc. Sa façon de passer ses doigts dans ses cheveux pour chasser une mèche tombant sur son front.

Sa paume vint à la rencontre de ma joue.

— Je t'aiderai à ne pas l'oublier.

— Quoi?

— Parle-moi de lui. J'aimerai apprendre à mieux le connaître. Après tout, je passe des moments très sympathiques avec son fils donc il serait tant que j'en apprenne davantage sur lui.

J'avais tort. Je pensais déjà l'aimer, mais elle venait de me prouver le contraire, car ce que je ressentais pour elle, en cet instant, allait bien au-delà du simple fait d'être amoureux. Elle était mon univers, ma raison d'être. Elle se détourna en direction du lac, puis posa sa tête sur mon torse, me laissant ainsi me plonger en toute intimité dans mes souvenirs. Je fermai alors les yeux et racontai qui est Jérémy Hunter. Et tandis que j'évoquai ses blessures, ses combats et ses réussites, je me dis que mon père aurait adoré, Ashley. Voir son fils se faire ravir le cœur par une femme tel quelle, l'aurait enthousiasmé.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant