Chapitre 57 - Ashley

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Poids deux kilos huit-cent-soixante grammes. Taille quarante-neuf centimètres. Des yeux dont la couleur rappelait celle des premières feuilles automnales, un marron piqué de touche or. Des cheveux noirs, même si pour le moment elle n'en avait que très peu sur le crâne. Et des piaillements proches de ceux d'un chaton. Sous ses longs cils, ce petit être à la peau brune ne paraissait guère menaçant. Et pourtant, du haut de ses quatre jours tel un train lancé à grande vitesse, il avait percuté de plein fouet l'existence de ses deux papas. Adieu les réveils tardifs sous la couette, les corps à corps enflammés au saut du lit, sans oublier les soirées entre amis sans craindre les lendemains difficiles. La jeune Éloïse allait bouleverser le quotidien de ses parents, mais ni Hurl, ni Dave ne s'en préoccupaient. Tous deux étaient sous son charme, et donnaient l'impression de survoler le monde. Même le jour de leur mariage, l'euphorie sur laquelle ils planaient n'était rien en comparaison à celle que la naissance de leur fille leur procurait. Leurs yeux brillaient d'une étincelle nouvelle.

Hurl avait réussi là où j'avais lamentablement échoué. Le contour des cicatrices de son passé étant devenu indolore, il était parvenu à rendre réel ce rêve qu'adolescent son père lui avait interdit de convoiter. Une famille. Non celle que ses parents désiraient lui imposer sous couvert de la honte que lui inspirait la direction des battements de son coeur, mais celle qui le rendrait heureux. Et lors de ma visite à l'hôpital, en voyant mon meilleur ami tenir dans ses bras cet être qu'il s'était parfois interdit d'espérer tant les obstacles faisant barrage paraissaient insurmontables, j'avais admiré sa ténacité. Après tout, elle lui avait accordé son souhait, sa famille. Et qu'elle était belle. En Dave, l'amour de sa vie, il avait trouvé les pierres de son édifice. Quant à Éloïse en leur offrant le plus beau rôle de leur vie, elle avait apporté le ciment qui les lierait tous les trois aussi longtemps que le soleil se coucherait à l'Ouest. Mon ami avait de quoi être fier. Ses détracteurs, les persécuteurs de son enfance, aucun n'était parvenu à détourner Hurl du bonheur qui lui revenait.

Et alors que mon coeur se gonflait en réponse à tout l'amour que mon ami avait su créer autour de lui, il se comprima aussitôt. Tout ce qu'il avait fondé, n'était que le reflet de mes échecs. Il avait réussi là où je patinais. Quatre jours plus tôt, je me serais targuée d'être sur la bonne voie, mais c'était avant que je ne foute tout en l'air avec Jack. Il ignorait mes appels. Quant aux messages, je n'avais droit qu'à des réponses laconiques qui se limitaient à deux mots : oui et non. Et cela, c'était lorsqu'il daignait appuyer sur les touches de son smartphone.

J'avais un principe, ne rien faire avec demi-mesure, et saboter royalement mes chances de suivre les traces de mon ami en était le parfait exemple. Jack, son silence témoignait de ses intentions. Loin de moi, il renonçait à nous. Un torrent d'eau salée tenta d'inonder mes joues, quant à mon estomac, une lame tranchante s'y enfonça, me forçant à contracter fortement ma sangle abdominale pour atténuer la douleur. M'imaginer ne plus appartenir à ses bras m'était insoutenable, et sans mes anciennes murailles, je n'étais plus que la marionnette de mon chagrin.

— Ashley, tu t'en sors?

Non. Je m'effondre. Je me noie.

Mon tout, mon essentiel, c'en était fini. Rien ne serait jamais plus comme avant. Je ne serais jamais plus comme avant.

— Ça fait vingt minutes que tu te débats avec cette banderole.

Je serrai entre mes doigts la délicate bande d'étoffe blanche où Claire avait imprimé en lettre rose, le prénom de la fille de Hurl. Face à mon état émotionnel, Catherine et Claire ne m'avaient confié que cette fichue banderole à installer, mais être au bord de la crise de nerf aliénait toutes mes facultés physiques et mentales. Pour preuve, mon seul exploit de ces dernières quatre-vingt seize heures avait été de réapprovisionner en grands crus, la cave à vin entièrement vitrée qui officiait de séparation entre la salle à manger et la cuisine, des jeunes parents. Ce cadeau ne figurant pas en tête de liste des présents à offrir en cas de naissance, pour accueillir le tout nouveau membre de la tribu, avec l'aide de Catherine, Claire avait organisé une fête surprise autour d'un buffet gourmand. À elles deux, elles s'étaient occupées de l'achat de la décoration ainsi que des mignardises sucrées et des petits-fours.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant