La grisaille avait envahi les pièces du rez-de-chaussée. D'un bout à l'autre de la salle à manger, les larges fenêtres offraient une bien triste journée en perspective. Adieu les températures clémentes de la veille. Le ciel chargé de nuages sombres ne tarderait pas à laisser échapper les trombes de gouttes de pluie qu'il retenait. À l'aide d'une tablette qui à elle seule commandait la température des pièces, les volets roulants, le système d'alarme ainsi que l'éclairage de la maison, je vérifiai le thermostat. Il affichait vingt degrés.
Ma fibre écologiste me répétait que ces écarts climatiques étaient la conséquence de notre insouciance face au mal qui persécutait la Terre. Nous étions l'ennemie de notre hôtesse. Les pluies verglaçantes de plus en plus précoces, les inondations, sans oublier la multiplication des incendies de forêt étaient sa manière de manifester son agacement. Chaque année, l'homme était le témoin de sa bêtise, et pourtant il ne changeait rien. L'été dernier, la sécheresse et les vents forts avaient causé la propagation rapide d'un feu de forêt dans l'ouest du pays, près de Slave Lake. Quelques milliers d'habitants avaient dû abandonner leur foyer. À leur retour, toute la ville n'était que cendre. L'immense brasier avait tout ravagé sur son passage, emportant également avec lui la vie d'un pilote d'hélicoptère dont l'aéronef s'était crashé pendant qu'il combattait les flammes. Cet évènement avait bouleversé tout le pays. Sensible à l'environnement, Ashley avait demandé à l'architecte recommandé par mon frère d'apporter des solutions novatrices afin de réduire à son minimum les besoins énergétiques de la maison.
En repensant à mon frère et ses cachoteries, une envie de lui tordre le cou me démangea les phalanges. Hier soir, le regard coloré de touches provocatrices pour masquer la peur qui grandissait au fur et à mesure qu'Ashley me montrait les changements qu'elle avait opéré, elle m'avait confié l'aide apporté par mon frère, Éric.Derrière mon dos, mon aîné l'avait conseillée et accompagnée. Depuis la mi-juillet, ses aller-retours entre New-York et Chicago pour assurer l'avancement de la construction d'un building ultra-moderne dont sa société avait obtenu le contrat après deux ans de négociations auprès d'un richissime homme d'affaires, l'empêchait de m'accorder quelques minutes au téléphone. Pourtant, il avait su libérer du temps pour s'entretenir quotidiennement avec Ashley et l'architecte qu'il lui avait préconisé.
Mes doigts me démangeaient non par jalousie, mais simplement parce qu'Éric s'était fichu de moi. Il n'avait rien laissé transparaître, tandis que je lui confiais ma frustration d'être mis à l'écart du projet de rénovation de la maison d'enfance d'Ashley. Et paradoxalement, s'il avait trahi son secret, j'aurai eu envie de lui administrer le même châtiment. Ma douce ensorceleuse avait eu tant de plaisir à déambuler dans chacune des pièces pour me montrer notre nouveau cocon. Notre chez-nous quand les kilomètres ne nous séparaient plus.
Ashley dormait à poings fermés. D'un pas silencieux, j'étais descendu préparer le déjeuner. Pour venir à bout de son appétit matinal, j'avais opté pour des plats salés. Après l'avoir tenu éveillée une bonne partie de la nuit, à son réveil, une assiette de gaufres au saumon et de pommes de terres sautées l'aiderait à recharger ses batteries. Son réfrigérateur habituellement remplit uniquement de restes de plats à emporter, contenait des aliments sains. Une première pour ma douce ensorceleuse. De l'index, j'actionnai l'ouverture d'un des tiroirs situé sous l'îlot central. Plusieurs bocaux de conservation avec à l'intérieur divers types de farines, de sucres, et de céréales en tout genre attendaient impatiemment de sortir de l'ombre. J'allais le faire ce plaisir. Dans un cul de poule en inox, je mélangeai la farine de millet et de riz. Les autres ingrédients nécessaire à la pâte à gaufre suivirent le même sort. Pendant que la pâte reposait sagement, je montai à la main une crème en chantilly à l'estragon. Totalement absorbé par ma préparation, je n'entendis pas Ashley s'approcher. Elle me dévoila sa présence en plaquant son buste contre mon dos.
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Notre valse en trois temps - tome 2 - Et si
Roman d'amourPar de simples gestes, des paroles attentionnées et des sourires complices, même la plus fermée des roses finie par éclore. À travers sa relation avec Jack, Ashley devra apprendre à abandonner ses craintes et ses doutes. Au cours de cette traversée...