Chapitre 11 - Ashley

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Cette migraine, lancinante, assommante. Et cette douleur comme si une multitude d'aiguilles s'enfonçait et se retirait pour encore mieux pénétrer l'épiderme de ma jambe. Des voix autour de moi me parvenaient, cependant mon cerveau embrumé n'arrivait pas à les distinguer, ni à savoir où je me trouvais. La panique commençait à me submerger où étais-je donc? J'essayai de prendre la parole, mais mes mots se fondirent dans une longue lamentation tant ma gorge me brûlait.

Et alors, sa magie opéra. La chaleur de ses doigts sur ma joue chassa doucement la brume qui m'enveloppait. Le souffle de ses mots au creux de mon oreille m'embarqua dans un cocon de plumes pour me ramener lentement vers la Terre ferme, là où était ma place, là où la brouillard ne m'aveuglerait plus. Alors pourquoi tout à coup luttai-je? Pourquoi une peur glaçante prenait-elle place dans ma poitrine?

Subitement les souvenirs me revinrent. L'empreinte des bras de Jack entourant ma taille. Ses dents mordillant ma clavicule. La lumière aveuglante transperçant la fenêtre de ma chambre d'enfant. Ses lèvres s'emparant des miennes. La robe de marié de Lyly. Et, cette date, les secrets qu'elle renfermait. Mon désarroi. La souffrance, la mienne face à cette découverte... Non, gémis-je. Sans que je ne puisse les retenir, mes larmes s'échappèrent telle une vague se heurtant sur la berge. Non, non geignis-je à nouveau tandis que les fragments de ma mémoire se recollaient. Tout me revint sans fard, aussi net que la surface d'un lac gelé. Les mots trouvés dans le journal intime de Lyly prenaient à nouveau un sens. Ma mère, mon père, la vérité sur notre de famille. Avant sa mort, Jacob avait voulu une dernière fois me préserver. Malheureusement, il avait juste omis que les vérités finissent toujours par refaire surface et souvent de la façon la plus inattendue. Pour preuve, la mienne m'était apparue sous la forme d'une écriture toute en longueur, à l'encre noire sur fond de papier blanc, jauni par les années. À ce souvenir, j'émis une nouvelle complainte Ashley, mon ange, je suis là. Cette voix, je la reconnaissais aussi. Elle m'avait déjà mainte fois bercée après un cauchemar ou à la suite de l'une des mes crises d'angoisse. Même après toutes ces années, elle restait à mon chevet veillant sur moi.

Mes paupières lourdes firent plusieurs tentatives pour s'ouvrir avant que les voix m'entourant se matérialisent en des silhouettes floues. Ma vue prit quelques minutes pour s'ajuster à la luminosité de la pièce et prendre conscience du lieu où je me trouvais. Mes deux visiteurs, l'un comme l'autre m'observaient avec une mine grave mélangée avec de la tendresse pour Catherine et du chagrin pour Jack. J'essayai de lever la main afin d'effacer les dernières traces de brume sur mon visage. Ce simple geste me demanda un effort inconditionnel tant mes membres étaient endoloris.

— Souffres-tu? m'interrogea Catherine de sa voix maternelle. Souhaites-tu que j'appelle une infirmière?

Oui, avais-je envie de répondre à la première question. Seulement, il ne s'agissait pas d'une souffrance pouvant être soignée à l'aide de médicaments.

— J'ai l'impression d'être passée sous un rouleau compresseur, répondis-je à la place.

Prononcer ces quelques mots ne fit qu'accentuer mon mal de gorge et je ne parvins pas à retenir une douloureuse quinte de toux.

— Un verre d'eau te ferait-il du bien? proposa Jack.

Sans attendre de réponse de ma part, il disparut pour réapparaitre à mes côtés et m'aider à me désaltérer à l'aide d'une paille. Après quelques gorgées, je le remerciai d'un faible merci accompagné d'un signe de la tête. Mon regard se posa sur ma jambe plâtrée et ma chute dans les escaliers me revint en mémoire. Avec juste un membre cassé, je m'en sortais plutôt pas mal.

— Quel est le verdict du médecin? demandai-je en passant mon regard de Jack à Catherine et vice-versa.

— Dans ta chute, tu t'aies fait une double fracture tibia-péroné, commença Catherine. Une plaque a été placée pour consolider ta jambe et tu devras rester plâtrée six semaines.

Ma tête se fit plus lourde contre l'oreiller. Je ne savais que trop bien ce que signifiait une double fracture ouverte. Une très longue période de convalescence m'attendait sans compter la rééducation.

Quelle affliction!

Comment allais-je assurer ma présence au bloc opératoire durant cette période? Il fallait que je me penche rapidement sur la question avec mon mentor.

— Je dois parler au plus vite au docteur Chang.

— Ashley! Tu es allongée sur un lit d'hôpital et ta première pensée est pour ton monsieur Michael-Ange.

Catherine ne parvint pas à cacher son mécontentement. Ma demande la scandalisait. Pourtant, elle me connaissait et savait très bien que je ne pouvais pas me permettre d'être immobilisée durant quatre à six semaines. La place de Chef des résidents était en jeu et j'avais travaillé trop dur pour obtenir ce poste. Il était donc hors de question qu'il me file entre les doigts. Mais pour le moment, mon état de fatigue ne me permettait pas d'entamer ce débat avec elle.

— Pas maintenant, Catherine.

Si Jack ne l'avait pas arrêtée d'un signe de la tête, à ses lèvres pincées, Catherine n'aurait pas tenu compte de ma demande de trêve et la conversation Reprise du travail serait à l'honneur. Pour désamorcer l'ambiance chargée d'étincelles électriques, Jack me confia que Hurl avait la lourde tâche de récupérer des vêtements et des produits de toilette à mon appartement. À l'idée d'être vêtue et maquillée selon les critères féminins de mon meilleur ami, je ne pus retenir ma mine déconfite. Jack tenta bien de me rassurer en me précisant qu'il avait donné des instructions strictes concernant ma garde de robe, je n'étais tout de même pas rassurée. Pendant mon séjour à l'hôpital, j'allais me retrouver en mode femme fatale dans des robes arrivant mi-cuisses et dévoilant toutes mes formes.

Alors que mon imagination vagabondait sur les tenues que Hurl pourrait bien m'apporter, je surpris un regard complice entre Jack et Catherine. Nul besoin d'un décodeur de pensées pour savoir que la conversation qui allait suivre n'allait nullement me plaire. Je n'étais pas encore prête pour un interrogatoire et encore moins pour apporter des réponses honnêtes.

— Ashley, peut-on parler de ce qu'il s'est produit en mon absence?

Un rictus déforma mes lèvres. Son seul objectif était d'éconduire cette discussion, mais Jack sauta les deux pieds joints pour me ramener vers le trou noir que je désirai fuir.

— Te voir étendue sur le sol a été une véritable épreuve.Tu divaguais, H. Tu avais remplacé tes fringues par une robe de mariée, puis tu m'as demandé de l'arracher. Tu tenais des propos décousus sur Lyly et Jacob.

— C'est trop tôt, trop frais, Jack. Tu auras tes réponses, mais avant, il faut que j'obtienne les miennes.

Ses yeux me scrutèrent à la recherche de la vérité, néanmoins comment pourrait-il la trouver alors que moi-même je n'étais pas certaine de la détenir? Mais une personne proche de mes parents sera en mesure de m'apporter les pièces manquantes à mon puzzle familial. Emma connaissait les raisons réelles du suicide de Lyly. Elle avait tenté de me le dire ce matin, mais convaincue de connaître les motivations de ma mère, j'avais repoussé sa proposition. Maintenant que je m'étais insinuée dans ses pensées grâce à son journal intime, je désirai par-dessus tout m'entretenir avec Emma et savoir tout ce que Jacob m'avait caché.

— Jack, je souhaiterai parler à Madame Stephenson. Quelque soit ses révélations, je suis prête à affronter mes fantômes une dernière fois. Plus tôt j'apprendrai à savoir qui ils étaient réellement et plus vite je serai débarrassée d'eux.

Il déglutit péniblement. Son inquiétude transperçait dans ses yeux et de minuscules ridules marquaient son front. Après mon petit moment de haute-voltige, l'idée que je m'entretienne avec Emma ne semblait plus enchanter, Jack. Ces quelques minutes à converser avait mis à plat le peu d'énergie qu'il me restait et il ne m'en restait pas assez pour tenter de le convaincre.

— Très bien, accepta-t-il au grand soulagement de mes paupières qui se firent à nouveau lourdes. Je m'en occupe.

Sans aucune résistance de ma part, je repartis dans un sommeil profond où mes deux fantômes, Lyly et Jacob me rendirent visite dans une grande maison blanche aux portes grises. Tous les trois, nous étions réunis et pour la première fois depuis si longtemps, ma rancoeur avait laissé place à tout l'amour qu'enfant je portais à mes parents.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant