Chapitre 58 - Jack

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Quatre jours.

Mon silence me tourmentait. Quant à son absence, elle me déchirait. Mais rien de comparable à ma colère, à ma déception, à la chute vertigineuse à laquelle elle m'avait contraint. Tout ça, notre projet de vivre ensemble, de former une famille, de se blottir chaque soir dans les bras l'un de l'autre, tout cela n'avait été qu'un mensonge. Une illusion. Pareil à un spectateur fasciné par la performance de la prestidigitatrice, j'avais été emporté par les visions des jours heureux qu'elle avait réussi à sceller dans mon esprit. À tel point que je nous pensais à l'abri des ombres de son passé.

La trahison! Ce sentiment était le plus effroyable de tous.

L'omerta que je nous avais imposé en claquant la porte de l'appartement me rongeait en m'en rende malade. Pourtant, elle avait été mon refuge, mon remède pour ne pas détruire avec les mots l'avenir que je nous souhaitais. Si nous infliger cette distance avait été primordiale, elle n'avait tout de même pas été sans conséquence. Comme à chaque fois lorsqu'Ashley était en dehors de ma sphère, je n'étais plus qu'un personnage triste et bourru. Ni la natation, ni la course à pied ne parvenaient à apaiser la tension qui électrisait chacune de mes cellules. Pour lutter contre l'empoisonnement des flashs de nos derniers instants, je ne quittais plus mes cuisines. L'effervescence qui y régnait depuis ma nomination de chef de l'année m'imposait une concentration poussée à son maximum pour empêcher qu'un simple grain de sable ne vienne enrayer la magie de nos plats. Le cocktail parfait pour m'occuper à toutes heures du jour et de la nuit. Lorsqu'être derrière mes casseroles ne parvenait plus à contenir le brasier qui fourmillait en moi, je sollicitais mon équipe en charge de la gestion de mon affaire de corners. Ceux-ci ne se limitaient plus aux établissements de yoga d'Eva. D'autres propositions d'ouvertures fleurissaient, dont l'une pour occuper une place entre les murs historiques de la station ferroviaire la plus célèbre de New-York, Grand Central Terminal. M'abrutir au travail était ce que j'avais trouvé de mieux pour ne pas sombrer dans la multitude de conneries qui s'entrechoquait dans ma tête. Commettre l'impensable était l'une d'elle. Et alors que tous ses messages vocaux, ainsi que ses textos n'avaient fait qu'attiser l'amertume qui me contaminait, ses derniers mots avaient effacé ce besoin quasi-vital de m'éloigner de nous. Sa voix chargée d'émotion sur mon répondeur alors qu'elle se confiait sur sa rencontre avec Éloïse, et sur le déroulé de la fête surprise organisée en son honneur avait amoindri toute cette rancoeur qui me nourrissait depuis notre dispute.

Pour quelques heures, attisé par le désir de retrouver Ashley, j'avais tout envoyé balader. J'étais prêt à entendre son explication quant à la dernière auto-flagellation qu'elle avait imposé à notre couple. Par contre, quant à comprendre ses motivations, je n'étais pas certain d'être apte à franchir le pas. Pas après nos vacances sur l'île Carriacou. Pas après les mois d'insouciance qu'elle m'avait accordé.

Sa trahison!

Cette vision qu'elle avait d'elle, je ne la supportais plus. Penser que Svetlana était bien plus belle qu'elle. Que par sa beauté, sa place à mes côtés était plus légitime que la sienne. À cause de son aveuglement, elle n'avait pas descellé la femme superficielle et sans âme qui se terrait derrière ses courbes parfaites. Cette idée grotesque qui s'était insinuée dans sa tête que d'un simple papillotement de cils, Svetlana était en mesure de la supplanter m'était insoutenable. Pire, cela m'était intolérable car c'était symptomatique du mal dont elle ne parviendrait pas à se défaire: elle ne percevait toujours pas l'étendue de mon amour. À mes yeux, elle était un don, une muse qui avait ébloui mon existence, et parmi toutes les femmes que j'avais fréquenté, aucune n'avait jamais eu cette emprise. Elle m'était ce que l'air était au feu, ce que l'eau était à la nature, indispensable. Seulement, Ashley restait aveugle. Commettre l'impensable se percuta à nouveau à moi, et tandis que la distance se réduisait entre nous au fur et à mesure que je remontai à pied l'avenue où bientôt se dessinerait l'entrée de l'immeuble de Dave et d'Hurl, mes doigts se replièrent sur la lanière en cuir du sac contenant le cadeau de naissance de leur fille. Il fallait que je chasse cette idée avant qu'elle ne s'implante et me pousse à l'irréparable. Je me réfugiai alors dans la couverture en laine et cachemire où dessus était brodé en fil doré la constellation de la petite ourse. En protectrice, l'étoile polaire veillerait sur les songes de la jeune Éloïse, empêchant ainsi la noirceur d'envahir ses rêves. C'était également l'intention d'Ashley. La protéger de l'obscurité, lui tendre la main lorsqu'elle tomberait, lui enseigner qu'elle était une perle qui surpassait de loin toutes les beautés du monde. C'était ces mots qui m'avaient fait renoncer à mon silence, et en me les remémorant se furent eux qui me firent accélérer le pas.

Notre valse en trois temps - tome 2 - Et siOù les histoires vivent. Découvrez maintenant