Chapitre 4 - 5 : Retrouvailles (Edward)

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Noyé dans mes souvenirs, j'avais laissé mes yeux se perdre dans le paysage vallonné du sud, et réalisai mollement que le ciel s'était éclairci, les nuages laissant place à un soleil éclatant d'automne. Au moins, je n'allais pas finir sous une pluie battante à mon arrivée à Central.

Je regardais défiler les villages, observant comment la ville dévorait progressivement les étendues de forêts et de champs. La région Centrale était beaucoup plus peuplée que le reste du pays, sans doute parce qu'il y était beaucoup plus facile d'accéder à des technologies modernes. Heureusement, entre Central-city et les villes avoisinantes, la nature avait encore la place d'y lover des champs labourés et des coulées de forêts aux couleurs chatoyantes. C'est en voyant les arbres repeints des couleurs de l'automne, sérieusement déplumés pour certains, que je pris soudainement la mesure du temps écoulé. Que s'était-il passé du côté d'Alphonse et Winry ? Et les militaires, que devenaient-ils ?

L'image de Mustang me revint en tête et je me mordis la lèvre rentrant un peu la tête des épaules. Riza me l'avait fait comprendre à demi-mot en le rebaptisant Black Hayatte dans ses lettres, il n'avait vraiment pas apprécié que je disparaisse sans laisser de traces après avoir tenu tête à King Bradley. Bien sûr, c'était une connerie, et pas des moindres. J'étais en cavale, sans nouvelles d'Izumi ni de Cub, et je n'avais aucune idée de ce qu'ils devenaient. Cette pensée me rappela qu'une autre personne était dans cette situation : Hugues.

Comment ne pas se sentir seul quand tant de personnes étaient portées disparues, on ne sait où dans le pays, et que celles qui restaient étaient hors de ma portée ?

Je serrai les dents, et m'abîmai dans la contemplation du paysage pour essayer de redonner un tour positif à mes pensées.

Allez, haut les cœurs, je vais revoir Roxane. Et si je suis prudente, je pourrais peut-être revoir Riza et lui parler de vive voix. Ça serait tellement bien.

Je me répétai cela en boucle pour tâcher d'empêcher ma gorge de se nouer, pour ne pas me rappeler qu'il y avait d'autres personnes que j'avais davantage besoin de revoir, et quand le train ralentit pour entrer en gare, j'avais presque réussi à m'en persuader, assez en tout cas pour arriver à me coller un sourire sur le visage. Je pris mon sac de voyage, furetai dans le wagon désert pour vérifier que je n'avais rien oublié, puis sorti.

La verrière familière du vieux bâtiment de verre, de brique et de métal me surplombait, et j'inspirai à pleins poumons l'odeur de la gare, le charbon et la fumée, le métal chaud, le ballast poussiéreux, le bitume du quai, le cuir des bagages, et le mélange d'odeurs corporelles, parfums, sueur. Il faisait beaucoup plus chaud que ce à quoi je m'attendais, et j'ouvris mon manteau et retirai mon écharpe. Je gardai mon béret rouge, faute de savoir comment dissimuler autrement ma mèche récalcitrante. Noyé au milieu de cette foule d'inconnus, je me sentis étrangement chez moi. Il fallait croire que la capitale m'avait manqué plus que je le pensais. Mon sourire s'accrocha un peu plus, je mis mon sac sur l'épaule après y avoir accroché mon écharpe, pris une grande inspiration, et plongeai vers le hall de la gare.

J'avais quelques heures avant que Roxane n'arrive, et je comptais les mettre à profit pour nous trouver un hôtel où atterrir, au moins pour la première nuit. Elle avait dit qu'elle serait plutôt chargée.

En sortant de la gare, je fus irrésistiblement attiré par l'odeur d'un étal de crêpes. Cédant à la tentation, j'avais traversé la place pour y acheter une crêpe au caramel. Le repas précédent était loin, et s'il n'était pas encore midi, j'avais déjà faim. Je trouvai un banc pour m'asseoir face à la gare, et observai la vue dégagée sur la petite place. Une rangée de jets de fontaines, mises hors gel, traversait un bassin vide, dont on voyait le fond encrassé.

Quelques passants traversaient la place, quelques pigeons et moineaux se disputaient les miettes tombées des sandwiches des pique-niques. Le ciel était d'un bleu limpide, bien loin de la pluie de ce matin, et il faisait étonnamment chaud pour la saison. Je décidai de ne pas réfléchir et savourer le confort de cet instant, et de rester encore un peu, observant la façade de la gare Sud, dont les voies arrivaient à l'étage, à cause d'un relief montagneux à la frontière duquel elle avait été construite. Elle était donc constituée d'une façade en moellon percée de grands porches, et d'un étage en verrière, orné en son centre d'une gigantesque horloge.

Comme je fixais avec attention le bâtiment, je me rendis compte immédiatement qu'il se passait quelque chose d'anormal. Le sifflement d'une locomotive. Des crissements suraigus. Des hurlements mal couverts par la distance. Mes yeux s'agrandirent quand je vis une masse noire se profiler à travers la verrière, alors qu'une personne, juste en dessous, s'était arrêtée pour lever les yeux vers la source du vacarme. Quoiqu'il se passe, elle était au mauvais endroit. Et moi, j'étais trop loin pour crier, mais trop conscient pour ne rien faire. 

Je claquai des mains et les aplatis de part et d'autre du banc de pierre. L'éclat de l'alchimie cavala à travers la place, et une vague de pierre se forma au moment où la verrière explosa sous le coup de butoir d'une locomotive en plein élan. Ma transmutation forma une grande vague informe, faite dans l'urgence, et gifla la silhouette qui roula quelques mètres plus loin tandis que les dizaines de tonnes d'une locomotive s'abattirent à l'endroit où elle se trouvait une seconde auparavant. Une femme qui fouillait son sac à main et avait tourné la tête en entendant le bruit le lâcha dans sa stupéfaction. Il fallait avouer que voir cette masse noire et fumante, plantée dans le bitume qu'elle avait éclaté comme le dessus d'une crème brûlée, avait quelque chose de stupéfiant.

Mais pas autant que ma propre stupidité. Qu'est-ce qui m'avait pris de faire de l'alchimie, en plein jour, sur une place ? Je tournai la tête pour regarder autour de moi si quelqu'un avait vu la source de ma transmutation. Il n'y avait pas tant de monde, et tous fixaient l'accident, les yeux exorbités. J'en aurais sans doute fait autant si je n'avais pas craint pour ma survie.

Je me mordis la lèvre inférieure, attrapai mon sac et me levai pour partir loin de la scène avant d'y être associé. Moi qui m'étais juré d'être discret, je commençais bien ! Je n'avais plus qu'à prier pour que personne ne m'ait vu. Je ne pouvais pas me permettre de me demander si ma tentative de sauver l'inconnu avait suffi, si je m'étais approché, on m'aurait interrogé sur l'accident, et je me serai retrouvée entouré de militaires, ce qui était à peu près la dernière chose à faire à ce moment précis.

Alors, le nez vissé à mes chaussures, la main tremblante sur la bandoulière de mon sac, le cœur battant à tout rompre, je pris la fuite à pas rapides. 

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant