Chapitre 7 - 4 : Images et reflets (Roy)

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Ce soir-là, en quittant le QG, je me sentais lourd.

La conclusion de l'affaire Byers m'était finalement revenue, et elle m'avait beaucoup déçu. La cour martiale gérant les affaires courantes avait gardé l'affaire privée, comme l'avait demandé le Sergent Hayles, ce qui était une bonne nouvelle. Malheureusement, c'était la seule, puisque son agresseur avait simplement écopé d'un blâme, punition ridicule en regard de la gravité de ses actes. Si cela n'avait été que de moi, je l'aurais volontiers viré de l'Armée, d'autant plus qu'il avait apparemment tenté d'attaquer Hawkeye aussi. Elle ne s'était pas laissée faire, ce n'était pas son genre, mais c'était assez révélateur de sa grossièreté.

J'avais dû l'annoncer au Lieutenant en fin de journée, et en voyant son visage se fermer, je n'avais pas pu m'empêcher de regretter de ne pas avoir le pouvoir de choisir moi-même la sanction qu'il méritait. L'idée que Hayles soit trahie par le jugement de l'armée, et que Byers puisse continuer à se balader dans les couloirs du QG en toute impunité me révoltait. Pire que tout, face à un jugement complaisant, il risquait de recommencer à agresser des collègues féminines ou des civils. Pourquoi fallait-il toujours que les dirigeants ferment les yeux sur ces actes-là ? Parce qu'ils étaient tout aussi coupables sans doute.

Les yeux vides de la petite prostituée me hantaient, me rappelant de douloureux souvenirs. La rancune d'Havoc me pesait, et l'angoisse à l'idée que l'attaque du QG Est tourne mal me nouait les entrailles. Nous avions travaillé d'arrache-pied pour combattre ce réseau, et s'il s'était étendu et amplifié, c'était bien parce que la mafia s'y était associée. Les informations qu'Havoc avait rapportées de ses expéditions au Lys d'or nous permettaient d'identifier un pan supplémentaire du réseau, dont le travail n'était pas de faire sauter des choses ou de tuer des gens, mais d'apporter un soutien financier et logistique. Si on les neutralisait en même temps que les attaquants, il ne resterait plus rien du Front de l'Est. Encore fallait-il que le plan se déroule comme prévu.

Relevant le col de mon manteau avant de me lancer sous la neige fondue qui tombait d'un ciel de nuit sale, je poussai un soupir. Nous n'étions jamais parfaitement à l'abri d'une catastrophe. Étant donné l'ampleur du réseau mis à jour et la manière dont les informations se recoupaient, il était presque impossible que l'attaque prévue soit un canular, mais l'idée me piquait quand même par instants. Plus grave, j'avais reçu un appel de l'usine Marshall & co pour nous avertir que la commande de masques à gaz avait pris du retard. S'ils n'étaient pas livrés à temps pour équiper les militaires du QG Est, nous allions avoir de gros, gros problèmes.

Les écoutes nous avaient permis de savoir que nos ennemis avaient fabriqué de manière artisanale un grand nombre de fumigènes. Stratégiquement, l'idée était bonne. Ces grenades étaient peu coûteuses et permettraient de semer le chaos pour une attaque éclair, à condition d'avoir l'équipement adéquat, ce qui était leur cas depuis l'attaque de l'usine. Ils n'avaient pas prévu que le camp adverse serait sur le pied de guerre, et qu'en lieu et place des secrétaires et bureaucrates désarmés auxquels ils s'attendaient, ils feraient face à des renforts de Central-City même.

Que faire si la commande prenait trop de retard ? Demander une quantité plus faible, quitte à sous-équiper les soldats ? Prendre le risque de tout envoyer en une fois ? Combien de frais supplémentaires pour deux salves d'envois ? Annihiler le Front de Libération de l'Est était déjà assez coûteux comme ça. Cette journée risquait d'être sanglante, je ne voulais pas que des militaires meurent bêtement à cause d'une mauvaise décision de ma part. Cette idée m'inquiétait bien trop pour que je puisse faire mes courses sereinement avant de ressortir dans les rues froides et trempées de neige fondue.

Je montai hâtivement les marches de mon immeuble, ouvris la porte, et restai sur le seuil.

Un instant, le souvenir de cette nuit où j'avais trouvé Edward endormi sur mon canapé en rentrant chez moi me revint avec une bouffée de nostalgie. Si j'avais su que je ne reverrais plus pendant si longtemps, je l'aurais sans doute retenu davantage. Hawkeye avait beau m'avoir dit qu'il allait bien, qu'il était en sécurité, cela ne me suffisait pas. Ce petit con me manquait bien plus que je ne pouvais l'admettre, et en poussant ma porte, soir après soir, j'avais l'espoir stupide de revivre cette scène.

J'avais l'air d'un abruti, à rester sur le seuil de mon propre appartement en fixant le salon désert. Je m'ébrouai, entrai en refermant la porte derrière moi, me déchaussai et enlevai manteau et écharpe, puis allai déposer mes courses dans la cuisine. En vidant mon sac, je constatai avec un soupir que j'avais oublié de racheter de la farine. J'allais avoir du mal à cuisiner la tourte que j'avais prévue, et fouillai dans les placards en quête d'un plan B. Il me vint une idée de gratin. Je repassai dans le salon pour allumer la radio, jetant un coup d'œil à mon canapé tristement vide, à ce téléphone qui ne sonnerait sans doute pas ce soir non plus.

À quoi bon lui avoir donné mon numéro ? pensai-je avec aigreur avant de plonger dans l'ombre de mon arrière-cuisine pour en sortir une bouteille de vin rouge. Il pourrait au moins passer un petit coup de fil, donner signe de vie... Au moins une fois.

Une symphonie en fond sonore, un verre de Séguret à portée de main, je préparai mon gratin sans parvenir à être à ce que je faisais. Habituellement, cuisiner était un plaisir, mais cela faisait un moment que ce n'était plus le cas et que cela me servait davantage à décharger ma fébrilité dans une tâche plus manuelle que mon travail. Mes pensées sautaient d'un problème à l'autre, Doyle, Havoc, les masques à gaz, Edelyn, l'usine Maxence, les attentes des supérieurs, l'absence d'Edward, l'invitation de Kramer...

Trop préoccupé, je me coupai le doigt. Je lâchai un juron avant de le passer sous l'eau, puis patientai bon gré mal gré en attendant que la plaie ne saigne plus ou presque, avant de mettre un pansement. Je n'étais vraiment pas à ce que je faisais.

Je me sentirais mieux dans une semaine, quand ces événements seraient derrière moi. J'aurais presque voulu pouvoir voyager dans le temps pour ne plus subir cette attente effervescente, mais ce n'était pas possible.

J'aurais aussi voulu revoir cet abruti de petit blond, pour être rassuré sur son sort... ou à défaut, l'avoir au téléphone, mais cela non plus, ce n'était sans doute pas possible. Hawkeye m'avait donné de ses nouvelles à chaque fois qu'elle le pouvait, tout en restant très vague sur sa localisation et ce qu'il faisait. Il avait demandé quelle avait été l'ampleur des dégâts qu'il avait laissés à Dublith. D'après Hawkeye, il semblait inquiet qu'il y ait eu des morts parmi les militaires.

Je n'avais eu que des bruits de couloir tant que la commission d'enquête ne m'avait pas mis face aux actes de mon subordonné, et devant l'ampleur du chaos dont il était responsable, j'avais été estomaqué. Il y avait eu plusieurs semaines de travaux pour réhabiliter les lieux après son passage, notamment pour reconstruire les escaliers du bâtiment principal, qu'il avait fait purement et simplement disparaître par transmutation sur plusieurs étages. Son passage au Quartier Général de Dublith avait créé le même genre de chaos dysfonctionnel que celui que Mary Fisher avait laissé derrière elle.

Mais au moins, lui n'avait aucun mort sur la conscience.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant