Chapitre 6 - 3 : Colocataires (Roxane)

34 6 1
                                    


La nuit était presque tombée au moment où nous entrâmes dans le magasin de chaussures. Angie, un peu nerveuse, n'arrêtait pas de repousser ses cheveux en arrière avant de recaler son bonnet sur sa tête.

— Tu veux des barrettes ? Ça sera plus pratique que de les remettre en place toutes les secondes... j'ai pas l'impression que ta tignasse soit très coopérative.

— Comme tu dis... Tu as vu ce truc ? grommela-t-elle en désignant l'épi rebelle qui bondissait sur son front, m'arrachant un petit rire.

— Oui, je te passe des barrettes en rentrant. Ne t'inquiète pas, les cheveux rebelles, je connais ça aussi !

Ed... Angie revissa son couvre-chef sur son front et observa la boutique d'un air dubitatif.

— On vient ici pour quoi déjà ?

— Pour que tu arrêtes de porter ces écrase-merdes qui te font ressembler à un mec.

— Elles sont très bien ces bottes ! se rebiffa la blonde.

— Crois-moi, non, répondis-je en commençant à avancer à travers les rayons. Vu ta taille, il te faut quelque chose de plus délicat.

— Qu'est-ce qu'elle a ma taille ? !

Je me pris une chaussure dans l'épaule et sursautai en me retournant.

— Eh, calme-toi un peu ! J'avais oublié à quel point tu étais susceptible... OK, je n'insiste pas, mais ne me bombarde pas de chaussures, sinon on va se faire virer du magasin, fis-je d'un ton apaisant en cherchant des yeux la place de l'escarpin que j'avais ramassé.

Angie haussa les épaules, pas plus bouleversée que ça par l'idée, et j'avançai, cherchant des yeux quelque chose qui pourrait convenir au relooking de ma compagne. J'avisai des escarpins noirs à boucle et la désignai de l'index.

— Quelque chose comme ça ? proposai-je.

— Je vois même pas comment on peut mettre un pied là-dedans, grimaça-t-elle. Regarde le bout, il est tout pointu !

— Ça ?

— Des sandales, en automne ? Je suis pas frileux, mais quand même !

Je continuai à errer, cherchant quelque chose d'assez sobre pour que l'homme qu'elle était toujours intérieurement accepte de le porter, demandant sans succès si telle ou telle paire lui plaisait. Je m'enfonçais de plus en plus au fond du magasin, presque prête à me rabattre sur des bottes plus épaisses, tristement proches de ce qu'elle portait actuellement, quand je me rendis compte qu'elle avait cessé de me suivre, le regard fixé sur une partie de l'étal que je ne voyais pas. Je revins sur mes pas.

- Tu as trouvé quelque chose ?

J'arrivai à sa hauteur et suivis son regard pour voir devant quoi elle était tombée en arrêt. Devant elle, une chaussure Richelieu de cuir blanc et rouge, avec un vernis si brillant qu'on aurait pu s'y voir. Je me mordillai la lèvre machinalement. C'était un peu kitsch à mon goût, et ça me rappelait les escarpins bleu vif que je devais porter à l'Angel's Chest, mais d'un autre côté, j'avais conseillé à Edward de chercher des chaussures plus féminines, et, avec ses petits motifs et ses talons bobines, on ne pouvait pas dire qu'elles ne correspondaient pas à la définition.

— ... Tu veux les essayer ?

— Je... tu crois que ça irait ? Je n'y connais tellement rien.

— Ça sera mieux que ça, en tout cas, rappelai-je en désignant ses grosses bottes.

Elle s'assit sur le pouf prévu à cet effet et se déchaussa, tandis que je fouillais dans les boîtes pour chercher la pointure.

— Tu fais quelle taille ?

— Euh...

Je poussai un soupir et attrapai ses chaussures pour regarder si la pointure était écrite dessous.

— Je les ai tr... customisées, celles-là.

— Pfff... OK, essaie ça, tentai-je en lui passant les chaussures un peu au hasard.

Heureusement pour moi, j'avais visé juste. Après les avoir enfilées, la blonde baissa un regard incertain vers ses pieds, se demandant manifestement si c'était bien les siens.

— Ça m'a l'air pas mal, fis-je. Bon, un peu clinquant, mais c'est ton style, j'ai l'impression... commentai-je.

— Ça veut dire quoi, ça ?

— Ça veut dire que si elles te conviennent, on peut prendre celles-là. Et personnellement, je vais essayer cette paire, ajoutai-je après avoir remarqué des bottes fines qui me faisaient de l'œil.

L'eau qui s'était infiltrée dans mes chaussures lors de l'averse de la veille avait achevé de me motiver à racheter des chaussures. Et puis, si je voulais tenter des auditions, il valait mieux que je ne ressemble pas à une clocharde. Je me déchaussai à mon tour tandis qu'Angie faisait quelques pas dans les allées pour s'habituer.

— Ça va, ça ne te fait pas trop bizarre ?

— Moins que des chaussons de danse, fit-elle en grimaçant.

— Tu as porté des chaussons de danse ? !

— Oui, j'ai eu des cours de danse classique.

— Tu as porté un tutu rose, aussi ? fis-je avec un large sourire.

— Oh toi, tais-toi !

— Je t'imagine trop bien, commentai-je, envahie par l'image du Fullmetal Alchemist à qui l'on aurait ajouté un tutu à sa tenue habituelle.

— Tu imagines qui au juste ?

— D'après toi ? commentai-je avec un rire ouvertement moqueur.

Je tâchai de reprendre une mine vertueuse tandis qu'elle traversait l'allée vers moi avec un air indigné.

— Non, mais c'est bien que tu aies pris des cours. Tu sais faire des pointes du coup ?

— Oui, répondit-elle, distraite par ma question. J'ai eu un mois de formation intensive. Bon, c'était une vieille peau, mais elle m'a vraiment appris des choses.

— C'est bien... Tu me montreras, demandais-je, contente, mais un peu envieuse tout de même.

— Si tu veux.

Je me levai et tapotai machinalement la pointe du pied dans la moquette pour voir si elles étaient à la bonne taille. Ces petites chaussures allaient me changer de mes bottes sans âge, elles étaient confortables et mignonnes.

— Bon, vendu, commentai-je. On va payer ?

— Ça marche. Je te les offre ?

— Ma foi, je dis pas non, répondis-je avec un sourire.

Nous allâmes à la caisse, les chaussures encore aux pieds, ce qui amena un petit rire à la vendeuse, qui nous sortit tout de même deux boîtes et un sac pour ranger nos précédentes paires. Angie sortit quelques billets de son portefeuille et régla pour nous deux, puis nous ressortîmes bien chargées.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant