Chapitre 6 - 9 : Colocataires (Roxane)

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J'étais arrivée en retard à cause d'une audition que j'avais réussi à placer à huit heures, et me précipitai dans les vestiaires en m'excusant auprès des autres. Je me changeai à la hâte, replaçait mon bandeau qui maintenait mes cheveux en arrière, puis ressortis en attachant mon tablier, les manches retroussées, prête à entamer le service. Les autres me saluèrent avec une expression de soulagement.

— Je suis désolée pour le retard, soufflai-je à la serveuse en voyant qu'il y avait déjà beaucoup de monde en salle. Vous vous en sortez ?

— Maintenant que tu es là, on ne s'inquiète pas trop, répondit Linda, une jeune serveuse au visage long. Est-ce que tu peux t'occuper de cette commande ? Table vingt-deux, trois crumbles aux framboises, un thé jasmin, un fruits rouges et un toundra ?

— C'est comme si c'était fait ! m'exclamai-je en souriant.

Je préparai le plateau puis fondis en cuisine, le cœur bien accroché. L'audition s'était plutôt bien passée, nous nous étions quittés en bons termes et j'espérais sincèrement être rappelée. Cette perspective de peut-être décrocher un emploi me gonflait le cœur et je me sentais légère. En passant en salle, je remarquai immédiatement que le père d'Edward était revenu. C'était le troisième jour d'affilé, depuis la fameuse affaire du verre d'eau. Quelle que soit la rancune qu'il avait envers son père, on ne pouvait nier qu'il faisait des efforts pour le retrouver. Je déposai la commande que j'avais dans les mains puis passai rapidement à sa table.

— On s'occupe de vous ? demandai-je.

— Oui, j'ai déjà commandé, merci.

— Je vois que la mésaventure de l'autre jour ne vous a pas refroidi.

— J'ai vécu bien pire, je ne vais pas me laisser décourager pour si peu, fit-il avec un sourire triste. Par contre, je n'ai pas revu votre collègue.

— Elle a quitté l'établissement, répondis-je en gardant un ton distant vis-à-vis de cet événement qui m'avait bouleversée plus que je ne voulais l'avouer.

— Oh, fit-il, les yeux éteints par la tristesse. Je voulais la revoir pour... pour m'excuser.

— Je suis désolée, fis-je.

— Vous avez des occasions de la revoir ?

Je hochai la tête. C'était peu dire... je vivais avec Angie !

— Est-ce que vous pourrez lui dire que je voudrais le revoir pour parler au calme avec l... elle.

Je me mordis la lèvre inférieure. Encore ce lapsus. Malgré son apparence, Angie restait avant tout Edward aux yeux de son père. Je trouvais cela inexplicablement touchant.

— Je lui en parlerai, mais je ne promets rien... par contre, je vais devoir reprendre le travail, fis-je en voyant arriver de nouveaux clients.

— Oh, je comprends, excusez-moi d'avoir abusé de votre temps.

— Ce n'est rien, fis-je avant de me faufiler pour attabler les gens et voir qui avait besoin de passer commande avec un sourire de circonstance.

Voyant la salle presque pleine, je me concentrai sur mon travail, refusant de trop penser à ce père qui réapparaissait, au vide laissé par ma mère que je ne reverrais jamais, à la réaction d'Angie, au travail et à l'audition dont j'attendais l'appel. N'ayant pas de numéro de téléphone, j'avais laissé celui de la gardienne de notre immeuble, qui avait le numéro de l'Eternel et Thés. J'étais pleine d'énergie : j'en étais sûre, aujourd'hui, le téléphone sonnerait pour moi et tous mes questionnements prendraient fin aussitôt que mes pieds frôleraient les planches de la scène. J'étais faite pour ça, tout simplement, et les gens allaient bien s'en rendre compte. Quelqu'un, bientôt, me laisserait ma chance, et ils verraient de quoi j'étais capable.

Pleine de conviction et de courage, je souriais plus sincèrement que d'habitude, et mis du cœur à l'ouvrage dans ce travail que je n'aimais pas vraiment. Je le sentais au fond de moi, aujourd'hui allait être une bonne journée.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant