Chapitre 5 - 4 : Le col du Loup Hurlant (Steelblue)

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Le temps de rejoindre la caverne où nous nous étions réfugiés, j'étais trempé jusqu'à l'os. Quand j'arrivai et poussai la porte de branchages que nous avions faite pour garder un peu la chaleur, trois personnes s'occupaient de préparer à manger. Asmia pétrissait la pâte pendant que Salim dépeçait la viande de notre dernière chasse, et Rayn préparait le feu pour cuire le tout. Un peu plus loin, Samina attachait en petits bouquets des plantes médicinales ou aromatiques qu'elle avait récoltées en profitant de la fin de saison.

— Eh bien, tu en as un vrai régiment ! m'exclamai-je en m'affalant à côté d'elle avant de me débarrasser de mon manteau trempé. Ne me dis pas que tu es sortie sous la pluie pour récolter tout ça ?

— Si, fit-elle sobrement.

Je restai silencieux un instant, désarçonné par le laconisme honnête de sa réponse.

Elle reprit la parole un peu plus tard.

— Vous m'avez montré comment trouver de la sauge, de l'ail des ours, et d'autres plantes qui nous seront utiles... autant les récolter maintenant plutôt qu'attendre l'hiver. Surtout que nous ne savons pas encore comment nous y survivrons. Toute réserve est bonne à prendre.

Je hochai la tête. On ne pouvait pas dire qu'elle avait tort. Mais, les cheveux encore humides, elle tremblait de froid et risquait de tomber malade. J'espérais que le feu la réchaufferait vite. La pièce n'avait que quelques degrés de plus que l'extérieur, et la pluie s'infiltrait dans les sols, rendant les parois humides. Le brasier devrait assécher la grotte, mais rendrait vite l'air irrespirable si on n'y prenait pas garde. On ne pouvait pas dire que les lieux étaient sains, et si la pluie ne s'arrêtait pas, nous risquions de tomber malades à cause des miasmes ou de nous empoisonner avec la fumée.

— Où est Scar ?

— Au fond, il discute avec le prêtre, répondit-elle sans lever les yeux de son ouvrage.

Elle avait quelque chose de sauvage, et il me semblait que même les autres Ishbals ne savaient pas sur quel pied danser avec elle. Malgré cela, ou à cause de cela, je l'aimais bien. Après m'être débarrassé de mon manteau trempé, je me dirigeai vers les dirigeants de notre bande.

Nous n'étions plus qu'une vingtaine après avoir essuyé plusieurs attaques meurtrières. C'était peu quand on pensait ceux qui étaient morts depuis que j'étais arrivé, mais beaucoup quand il fallait trouver de quoi tous nous nourrir. Nous pouvions encore engranger quelques récoltes avant que n'arrivent les premières neiges, mais nous n'aurions pas de quoi passer l'hiver. Quand nous étions arrivés, j'avais espéré un temps pouvoir investir la ferme de mon grand-père que je pensais à l'abandon, mais j'avais rapidement découvert qu'elle avait été revendue à une famille du coin et qu'elle était habitée. Scar et le prêtre discutaient tous deux de la décision à prendre. Devions-nous courir le risque de repartir, nous rapprocher des routes et des potentiels ennemis, ou rester ici et subir le froid et la famine ? J'arrivai pour me joindre à eux.

— J'ai appris des choses aujourd'hui au village.

— Je t'écoute, fit Scar avec un ton qui aurait semblé méfiant à ceux qui n'avaient pas compris que c'était sa voix normale.

— La voie Nord a été coupée par un glissement de terrain, ça va limiter les livraisons de produits, dans un sens comme dans l'autre, tant que ça ne sera pas déblayé. Nous sommes encore plus coupés du monde qu'avant. Mais en parlant sur le sujet, j'ai appris qu'il y avait des pillards installés au col du loup hurlant, qui dissuadent tout le monde d'aller par là. Si nous pouvions...

Je ne parvins pas à continuer ma phrase en croisant le regard du vieil homme. En tant que prêtre, il défendait sa religion, sans haine, mais avec l'énergie du désespoir. Son monde s'était effondré, il voulait préserver le peu qui lui restait, sa foi. Je ne pouvais pas lui dire que mon plan était de m'attaquer à ses hommes, de les tuer. Même si c'était des bandits de grand chemin, même s'ils avaient peut-être des liens avec la mafia, cela restait des humains, et ôter une vie autrement que par extrême nécessité était hors de question pour lui.

Je me tournai vers Scar, qui dut sentir mon dilemme. Il fit un signe de tête et je compris qu'il vaudrait mieux en parler seul à seul. Le prêtre s'opposerait à l'idée de toute façon, et j'avais besoin de savoir si elle était valable d'un point de vue pratique, pas moral. La conversation n'apporta donc pas grand-chose, et pris fin assez rapidement, et le prêtre retourna vers l'entrée de la grotte se réchauffer près du feu qui commençait à prendre. Je le regardai quelques secondes avant de me tourner vers Scar.

— Tu veux les attaquer pour les déloger et prendre leur forteresse, c'est ça ?

— Ils sont là depuis plusieurs années, ils doivent avoir des locaux du chauffage, des réserves de nourriture...

— Ce serait criminel.

— Tout à fait, admis-je.

J'avais la décence de ne pas prétendre le contraire, et, si le regard de Scar se plissa à ces mots, il préférait tout de même ma réponse honnête à une justification boiteuse.

— Ce sont des brigands qui ont pris possession des sommets, attaquant les habitants qui tentaient de passaient le col. S'ils sont restés alors que plus personne ne s'aventure par-là, c'est qu'ils y trouvent un avantage. Soit ils font partie d'une stratégie plus importante, soient ils exploitent une ressource du lieu.

— S'ils sont bien installés, c'est surréaliste d'espérer les déloger. On est une vingtaine, avec, quoi... quatre véritables combattants ? On n'a pas les épaules pour un coup pareil.

— Tu comptes pour dix, fis-je remarquer.

La remarque le fit sourire, mais il secoua la tête.

— Cela ne suffirait pas, il faudrait qu'Ishbalah soit de notre côté, et elle ne soutiendra pas le meurtre d'humains, peu importe ce qu'ils ont commis auparavant. Ce serait une opération suicide, et il ne resterait plus personne pour veiller sur eux fit-il en désignant les autres.

Je tournai la tête vers eux, ces Ishbals qui étaient involontairement devenus ma tribu et que je me devais de protéger. Je les imaginais livrés à eux-mêmes dans la neige et les tourments qu'amènerait l'hiver et soupirait. Effectivement, un tel plan était suicidaire, et je renonçai à cette idée, le ventre noué par l'impuissance.

Je ne savais pas quoi faire pour arranger la situation, et cette idée me hantait.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant