Chapitre 2 - 2 : Pluie d'automne (Riza)

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Le lendemain, Mary Fisher craqua et commença à parler. Les choses semblaient soudainement être devenues faciles, presque trop faciles. Mustang resta circonspect, méfiant de ce revirement de situation. Il n'en revenait pas que ma méthode ait porté ses fruits, mais au fur et à mesure que les informations qu'elle nous donnait se vérifiaient les unes après les autres, il fallut admettre qu'elle nous livrait la vérité. J'étais immensément fière d'avoir réussi à faire plier cette furie, et je sentais dans le regard de mes collègues un respect renouvelé. Sans doute se disaient-ils qu'il ne fallait en aucun cas avoir quelque chose à me cacher.

Dans tous les cas, l'enquête sur le Front de libération de l'Est fit un bond en avant. Les mises sur écoute se multiplièrent, et la toile de leur réseau se dessina de plus en plus clairement, des éléments étant parsemés dans toute la moitié Est du pays, à Central, mais aussi dans le nord et le sud du pays. C'était impressionnant de voir cela.

Cela n'avait plus grand-chose d'un combat idéologique, des mafieux de toute sorte soutenaient le mouvement dans l'espoir d'élargir leur champ d'influence. C'était un véritable panier de crabes. Les enregistrements nous apprirent rapidement que leur fournisseur principal d'armes avait coupé contact avec eux après l'échec du passage Floriane, les laissant momentanément désorganisés et les obligeant à reporter leur plan le temps de pouvoir s'équiper de nouveau.

Faute de pouvoir se fournir de manière discrète, ils avaient planifié d'aller chercher l'armement où il était, à savoir en attaquant une usine de l'Est, afin d'avoir l'équipement nécessaire à leur prochain coup d'éclat, ou plutôt coup d'État. On pensait qu'ils avaient frappé fort avec leur prise d'otage à Central, mais, à l'écoute de têtes pensantes du réseau, nous réalisâmes rapidement que cette opération visait surtout à faire du bruit en se débarrassant des terroristes les plus instables et suicidaires, pour se concentrer sur une équipe de choc qui avait des plans autrement plus ambitieux.

Cette fois, le Front de Libération de l'Est était résolu à porter son nom : leur prochaine attaque ne visait rien moins que le QG Est, avec à la clé la prise de pouvoir sur la tête de la région. Ils voulaient réellement faire sécession, soutenus par des réseaux mafieux qui pourraient en profiter pour assoir davantage leur pouvoir. Si l'opération réussissait, ça serait une journée sanglante, et une catastrophe pour l'équilibre du pays.

Mary Fisher finit par arriver à bout de ses aveux, et resta emprisonnée tandis que son procès avançait et que notre enquête se déployait de plus en plus, mettant à jour un réseau souterrain de plus en plus imposant. Elle avait donné de précieuses informations et permis à l'armée de faire d'énormes progrès sur l'enquête, et des bruits de couloirs laissaient entendre que le tribunal pourrait bien alléger sa peine pour le service rendu à l'État. Une pratique courante pour encourager à la délation des personnes emprisonnées, qui déclenchait des réactions violentes. L'idée de potentiellement libérer une personne aussi salement impliquée scandalisait plus d'un soldat... mais nous n'en étions pas là.

Mustang avait le sentiment qu'une zone d'ombre subsistait. Après une période de pause, j'avais repris l'interrogatoire, et si sur le coup la demande du Colonel me paraissait absurde, le sentiment qu'elle cachait quelque chose derrière la docilité de ses aveux se fit bientôt sentir. J'avais repris les minutes de son interrogatoire, relu les notes, trouvé des zones inexplorées.

Je m'étais engouffrée dedans, résolue à faire la lumière sur tout ce que l'ancienne secrétaire avait à dire, mais elle était retombée dans son mutisme apathique. J'avais appris à connaître assez ce visage neutre et banal pour réduire le champ des possibles en l'observant. Je voyais bien qu'elle était poussée à bout par l'enfermement, au bord de la folie. Elle finirait par craquer de nouveau. Tout semblait laisser croire que cela concernait son passé, avant qu'elle entre dans le mouvement. Et c'était lié, d'une manière ou d'une autre, au trafic d'armes. Je comptais bien resserrer l'étau jusqu'à ce qu'elle craque de nouveau, mais on ne m'en laissa pas la possibilité.

Le lendemain du troisième interrogatoire, elle mourut dans sa cellule, après plus d'un mois d'emprisonnement. Le soldat qui lui avait donné son repas était dévasté de l'avoir entendu mourir, et se sentait terriblement responsable. Un médecin militaire vint l'autopsier, révélant une crise cardiaque, puis les examens du repas permirent de conclure à un empoisonnement à la digitaline. Nous étions le premier novembre.

Nous parlions de l'affaire quand le Sergent Hayles avait frappé à notre porte pour apporter un document provenant du bureau du Lieutenant Kramer. Après une période d'hésitation, elle s'était finalement décidée à confier son rapport sur l'agression de Byers à Mustang. Celui-ci s'était emparé de l'affaire avec beaucoup de sérieux et l'avait fait remonter à ses supérieurs en demandant une punition exemplaire. Depuis, nous attendions les retours de la cour martiale, mais celle-ci était bien plus préoccupée par d'autres affaires. Comparé un espion terroriste, les déboires du sergent Hayles ne pesaient pas bien lourd.

Mes collègues l'accueillirent joyeusement et je constatai rapidement qu'elle avait la cote. Elle discuta un peu de l'affaire en cours, et en apprenant que nous cherchions à remonter la piste de l'empoisonnement, nous souhaita bon courage.

— De la digitaline ? Ne comptez pas remonter la piste d'un fournisseur dans ce cas-là, vous perdrez du temps.

— Comment ça ? demanda Havoc, surpris de la voir si affirmée.

— C'est un poison extrait de la digitale pourpre, on en trouve couramment dans les chemins de campagne. Il peut être mortel sans même avoir besoin d'être extrait de la plante. Autant dire que c'est à la portée de n'importe qui d'empoisonner quelqu'un avec ça...

— Sergent Hayles, vous êtes un peu effrayante, commenta Falman.

— Moi ? Oh... Vous n'allez quand même pas me suspecter à cause de ça, hein ? C'est juste que mon amie d'enfance est passionnée de botanique, elle m'a toujours mise en garde contre les plantes toxiques... à force de me le répéter, j'ai fini par retenir certaines choses.

— Oh, c'est bien d'avoir une personne comme ça dans son entourage, fit Falman en hochant la tête.

Breda sourit, songeant probablement que Falman espérait bien être cette personne au sein de l'équipe.

— J'y pense, vous venez de l'Ouest ? Vous avez un accent assez marqué, commenta Fuery.

— Oui, j'ai grandi dans les steppes du côté de Kuijec.

— Oh, je vois, c'est dans cette région qu'il y avait eu de gros incendies en 1910.

— Oui, j'étais rentrée dans les pompiers à l'époque.

Les militaires délaissèrent bientôt leurs dossiers pour discuter avec elle et en apprendre plus sur son passé. Même si je savais que l'heure était grave et que du travail nous attendait, j'eus du mal à clore la conversation, intriguée par cette jeune femme au parcours hétéroclite. J'y parvins tout de même, et elle retourna travailler, laissant les militaires sous le charme. Ils discutèrent un peu d'elle, visiblement d'accord sur le fait qu'elle était sympathique et particulièrement mignonne, et même si je les rabrouai rapidement pour que l'équipe se remette au travail, j'avais bien du mal à leur donner tort.

Elle dut apprécier la discussion, car elle mangea avec nous le lendemain, fascinant les militaires de ses anecdotes, et encourageant la bande dans leur travail sans demander de détails précis sur l'enquête. Issue d'une tribu nomade, elle avait été étudiante en photographie, pompier volontaire, brancardière et musicienne durant ses moments de liberté. Il était dur de croire qu'elle avait eu tant d'expériences variées avant d'entrer dans l'armée, et Falman semblait douter d'elle, trouvant peu probable qu'une personne si jeune puisse avoir autant de talents. 

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant