Chapitre 6 - 7 : Colocataires (Roxane)

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Désolé pour l'interruption la semaine dernière : j'étais en pleins préparatifs pour participer à l'Autre Marché de Nantes, du coup je n'ai pas eu le temps de poster la suite... Je vais essayer de rependre le rythme pour cette semaine maintenant que j'ai pris le rythme. (S'il y a des nantais qui voudraient papoter, je serai sur le stand "Invitations au voyage", place Feydeau, jusqu'à dimanche soir ;) )

Sur ce, bonne lecture ! 

.oO°Oo.

Il me fallut un peu de temps pour réaliser l'impact de ce qu'elle venait de dire. Dans mon souvenir, il était orphelin et moi qui n'avais jamais connu mon père et le ne connaîtrais jamais, le concept de retrouvailles était tristement abstrait.

Pour Edward, c'était différent. Il avait passé les premières années de sa vie à vivre à ses côtés avant de l'abandonner, quand celui qui m'avait conçu n'avait rien fait d'autre que tirer un coup pour satisfaire sa libido avec ma mère. J'étais trop jeune à l'époque pour qu'elle m'en parle réellement, mais en recoupant les rares souvenirs de mon enfance, c'était la conclusion à laquelle j'étais arrivée.

Debout dans le bus bondé, je jetai des coups d'œil, mi-agacée, mi-inquiète, à une Angie particulièrement morose. Ces retrouvailles n'avaient été que la première partie des événements qui avaient secoué l'Eternel et Thés cette après-midi. 

Malgré tous mes efforts pour rattraper le coup, la propriétaire des lieux était rentrée dans une colère folle en apprenant ce qui s'était passé et avait aussitôt renvoyé Angie sous une pluie de propos incendiaires. Elle avait accumulé de l'insatisfaction à chaque maladresse de l'adolescente, et la lui avait renvoyée ensuite à boulets rouges. La petite blonde avait donc jeté son tablier et quitté les cuisines pour sortir dans la cour intérieure, empêtrée dans ses émotions parmi lesquelles dominait la rage. Nous n'étions plus que trois pour faire le service, et à partir de ce moment-là, je n'eus plus une minute à moi pour songer à l'adolescente empêtrée dans sa colère et les conséquences de ces actes.

Quand enfin mes heures de travail touchèrent à leur fin, et que je me changeai dans la réserve qui faisait office de vestiaire, la responsable de l'Eternel et Thés toqua à la porte avant d'entrer.

— Je me suis occupée du cas de Bérangère Ladeuil, mais je n'ai pas pris le temps de vous dire que vous aviez bien géré le relationnel avec le client.

— Merci, fis-je d'une voix un peu lasse, vidée par la journée de travail et abattue à l'idée qu'en perdant son travail, Angie avait diminué nos ressources de moitié.

Un temps partiel de serveuse, ce n'était pas assez pour vivre à deux, même en se serrant la ceinture. Aucune audition ne semblait m'ouvrir les portes, pas plus qu'à Angie, et nous allions très vite nous retrouver dans une situation catastrophique. Il fallait espérer qu'elle retrouve du travail rapidement, sinon, je ne voyais même pas comment nous pourrions payer le loyer à la fin du mois...

— Étant donné que nous avons perdu une serveuse, je vais avoir des problèmes de personnel... je ne sais pas trop quand elle pourra être remplacée.

Je hochai la tête en pliant machinalement mon tablier avant de le ranger dans le casier de vestiaire.

— Je me demandais si vous seriez intéressé pour faire plus d'heures ? Je suis prête à vous prendre à temps plein. Ça me permettrait de réorganiser l'emploi du temps des membres du service pour que ce soit plus tenable pour tout le monde.

Mon cœur se serra. Étant donné le peu d'argent dont nous disposions, refuser revenait à nous mettre à la rue... mais travailler à temps plein, ou presque, c'était autant d'opportunités de moins de participer à des auditions, et beaucoup moins d'espoir de décrocher un rôle... Si seulement Angie avait pu éviter l'esclandre en salle, la question ne se poserait pas.

— Je... je veux bien, je ne roule pas sur l'or, donc ça m'arrangerait, fis-je d'une voix creuse. Mais un temps plein, c'est... un peu compliqué, ça me laisse peu de temps pour les auditions.

— Hum, je vois, c'est vrai que vous en aviez parlé... Que diriez-vous de passer aux quatre cinquièmes ?

— Oui, ça serait bien, fis-je après avoir estimé mentalement l'argent supplémentaire que ça représenterait.

— Superbe ! fit-elle en me tendant la main pour sceller l'accord. Vous pouvez venir un peu plus tôt demain matin, que nous mettions à jour le contrat ?

Je serrai sa main avec un sourire forcé et opinai du chef. Elle avait l'air extrêmement satisfaite de ma réponse, et d'un point de vue objectif, sa proposition sauvait nos finances. Pourtant, j'étais bien incapable de m'en réjouir.

— Vous avez largement le potentiel d'être chef de salle, vous savez.

— Merci, fis-je en lâchant un dernier sourire forcé tandis que j'enfilais mon manteau. Je dois y aller, on m'attend.

— Bonne soirée, et à demain.

— Oui, bonne soirée, soufflai-je dans l'obscurité du couloir.

« Vous avez largement le potentiel d'être chef de salle, vous savez. » La phrase résonna dans ma tête et me fit monter les larmes aux yeux. Je battis des cils et pris de profondes inspirations pour ne pas éclater en sanglots face à l'ironie de la situation. Ce n'était pas ce que je voulais. Ce n'était pas pour ça que j'étais venue à Central. Mais aujourd'hui, mon rêve avait bondi en arrière et me semblait soudainement hors de portée.

Allons, me raisonnai-je. C'est provisoire. Je vais secouer les puces à Angie, et elle va se bouger les fesses pour retrouver un travail. Je pourrai quand même passer des auditions. Au fond, il en suffit d'une pour commencer à se lancer. Je travaillerai d'autant plus dur pour préparer celles auxquelles je pourrai participer. J'y arriverai.

Je poussai la porte de l'arrière-boutique, le poing serré dans la poche, et vis le regard désemparé d'Angie se lever vers moi. L'adolescente avait sans doute passé une partie de l'après-midi à donner des coups de pied dans les murs et les poubelles pour passer sa rage et son envie de pleurer, et si la fatigue avait gagné du terrain, je voyais bien qu'elle avait encore du mal à digérer les retrouvailles.

En voyant ses yeux dorés brillants de questions et d'inquiétude, en sentant à quel point elle se sentait coupable d'avoir perdu son travail, la rancune que j'avais à l'idée qu'elle nous avait mises dans la mouise s'évanouit, remplacée par la compassion. Par certains côtés, c'était encore une enfant. Et, quel que soit l'âge, on ne se sent jamais aussi jeune et vulnérable que face à nos parents.

Enfin, je le supposais... En tout cas, si je rencontrais ma mère aujourd'hui, je serais au moins aussi bouleversée.

— Je suis désolée, murmura-t-elle avec une tête de chiot.

— Tu as fait une belle connerie, oui, énonçai-je sans colère.

— Je suis désolée, répéta-t-elle. Comment on va faire pour payer le loyer ? Et la bouffe ?

— On m'a proposé un temps plein, j'ai demandé quatre cinquièmes. Je vais gagner plus, ça va compenser en partie.

— Oh. Heureusement qu'il y en a une pour ne pas être une catastrophe ambulante, commenta-t-elle, soulagée et triste à la fois.

— Allez, viens-là, fis-je en levant le bras pour qu'elle vienne s'y glisser. Raconte-moi un peu tout ça...

L'adolescente décolla du mur et vint contre moi pour que je lui tapote l'épaule, puis nous commençâmes à marcher vers l'arrêt de bus qui nous ramènerait chez nous.

Bras de fer, gant de velours - Quatrième partie : En coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant