Il me semble entendre Royce soupirer discrètement, mais je n'en suis pas sûre. Il se décolle de sa moto et me désigne le chemin d'un geste du menton. Sans un mot, il m'entraine vers le passage piéton le plus proche et je traverse à côté de lui. Je ne sais pas où il va alors je me contente de le suivre. En chemin, j'envoie un "je reviens tout de suite, ne t'inquiète pas" à Mia. Je ne me retourne pas pour essayer de l'apercevoir mais je devine sans mal qu'elle doit être en train de fulminer contre le mécanicien.
Pendant deux minutes montre en main, on ne fait que parcourir des trottoirs encombrés de monde et de lumière sans parler. Je suis vraiment proche de lui et de temps en temps, le dos de ma main effleure accidentellement la sienne ou son jean. Promis, je ne le fais pas exprès. Lui ne semble même pas s'en rendre compte alors je ne m'écarte pas.
La plupart des passants nous contournent vivement en reconnaissant Royce mais certains poussent l'impolitesse en traversant carrément la route pour marcher en face. Même les filles s'écartent ! L'incorrection de tous ces gens me fait monter la moutarde au nez et je serre les poings, estomaquée. Pendant le temps que dure le trajet, j'oublie mes réserves à l'égard du mécanicien et me fais un point d'honneur à rendre leurs regards hostiles à tous ces malappris.
Je crois que Royce perce à jour mon petit jeu parce que, quand je lève les yeux vers lui, il est en train de me scruter avec une expression étrange. Dans la nuit, ses prunelles semblent noires comme le jais. Noires comme l'onyx. Profondes comme un puits sans fond dans lequel on trébuche. Dans lequel on meurt. Et puis, quand on passe sous un lampadaire, la couleur pâle de ses iris tranche avec les ombres.
Je me rends comte que je l'observe depuis un peu trop longtemps et me détourne avec empressement. On est entrés dans une allée commerçante, les boutiques de luxe se succèdent. L'avantage, c'est qu'il y a tellement de monde que, perdus dans la masse, les gens remarquent de moins en moins Royce.
- T'avais pas un avion ? demande-t-il tout-à-trac, rompant enfin le "silence" étourdissant qui emplissait notre bulle et mon crâne.
Evidemment. Contrairement aux autres, lui sait parfaitement pourquoi je n'ai rien à faire ici. Je hausse les épaules sans m'arrêter de marcher.
- J'espère que maman a pris l'assurance annulation.
Royce prend une inspiration qui soulève son torse sous sa chemise. Quand je lui jette un coup d'œil, son regard s'est fait calculateur. Une petite partie de moi - celle qui n'est pas trop occupée avec le cauchemar qui m'est tombé dessus ce matin - a peur qu'il ne soit déçu. Il s'inquiète peut-être qu'après notre... petit rapprochement, moi et mon cœur d'artichaut nous fassions des films.
Cette idée me rend malheureuse. Je pince les lèvres en réfléchissant. Hier soir... enfin hier nuit, dans le garage, il n'avait pas l'air particulièrement opposé à ma présence. Si j'étais encline à l'optimisme, je dirais même qu'il semblait plutôt bien disposé à m'accepter, sur la fin... Mais comme je suis plus d'humeur à broyer du noir, ma cervelle est traversée par toutes sortes d'idées plus déprimantes les unes que les autres - encore pire que "La ligne verte", ce film affreusement triste que notre prof d'art visuels nous avait projeté, en seconde.
Je me demande par exemple s'il m'a embrassée pour me faire plaisir. Parce que je lui faisais pitié ? Est-ce qu'il s'est dit que, puisque de toute façon il aurait la paix dès le lendemain, alors il ne lui coûterait pas grand chose de céder à mes caprices d'adolescente timorée une dernière fois ?
Mon morale fait du saut à l'élastique. Il est en chute libre. Pour ne rien arranger, une jolie passante brune est en train de reluquer Royce comme s'il était un kinder bueno.
- Si c'est pas ce soir, ce sera demain, décrète le mécanicien d'une voix morne au moment où je surprend la fille regarder son... côté pile.
- Non, je le contredis distraitement. Je n'irais nulle part. Ils ne peuvent pas m'obliger.
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Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]
Romance-----[TOME 2]----- Il y a les secrets que l'on garde, le genre que l'on couve soigneusement et que l'on emmène jusque dans la tombe. Et il y a ceux qui sont faits pour être déterrés. Key Haven regorge de ces secrets. Quand l'un d'eux finit par explo...