Chapitre 23

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Des crêpes. Plein de crêpes empilées à l'infini sur une assiette. Fumantes et dégoulinantes de sirop d'érable. À moins que ce ne soit du miel ? Ça sent l'enfance, les goûters près de la piscine et le soleil de midi. Est-ce que c'est Rose qui les a cuisinées ? Il faut que je me lève, sinon Jace ne va rien me laisser et j'ai vraiment, vraiment envie de crêpes. Et puis, si je continue de traîner au lit comme ça, les employés vont me prendre pour une fainéante. Ils auront sans doute raison. Allez, je me lève... maintenant ! "Maintenant !" répète la petite voix avec un peu plus d'autorité, tout au fond de mon esprit en coton. Quand j'aurais goûté à ces merveilles sucrées, je courrais harnacher Brutus et on se baignera dans la mer, tous les deux. Ensuite, frigorifiée, j'irais m'étendre dans le sable brûlant et je demanderais à Nate de m'enterrer. Comme quand on était petits. Il n'y aura plus que nos deux têtes hirsutes qui émergeront du sol comme deux plants de carottes prêts à être cueillis. On prendra des coups de soleil terribles et c'est d'horreur que maman rougira.

Oui, on fera tout ça. Il faut juste que je trouve le courage de m'extirper de mes draps... qui ne sentent pas du tout comme mes draps. Les miens dégagent un parfum de lavande qui vous titille agréablement les sens au réveil. Ceux-là transpirent la lessive classique et le... Patchouli ? Pourquoi le Patchouli ? Et mon matelas ! Mon matelas orthopédique, si souple qu'il pourrait prétendre offrir le confort d'un nuage... La couche quelque peu rigide sur laquelle je suis étendue en ce moment n'a rien à voir avec mon lit à moi ! Qu'est-ce que...

Dans un grand vacarme de verre brisé, les portes du sommeil m'éjectent brutalement et sans raison apparente de leur forteresse protectrice. Un moment, je me vautre dans le cocon réconfortant de l'oubli, ballottée par ses vagues paisibles et tièdes. Celui qui suit, je retrouve le contact froid et dur de la réalité.

- Merde, j't'ai réveillée ? Désolée, ça m'a échappé des mains, grogne la voix de Mia, quelque part dans cette réalité.

Et sa voix est comme une aiguille qui viendrait trifouiller dans les nœuds de chair de mon cerveau. Une aiguille ? Qu'est-ce que je raconte ? Un millier... non, un million d'aiguilles fichées dans ma tête, qui confondent mon lobe frontal avec de la laine de mouton. La douleur me prend par surprise, mon crâne semble se fendiller sous les assauts extérieurs et j'enroule coûte que coûte mes bras autour de ma tête, comme pour l'empêcher de se disloquer.

- Aïe !

Ce timbre cassé et un peu enroué, c'est le mien ?

- Tu l'as dit, marmonne mon amie, un peu plus loin.

Quand je fais une tentative pour l'apercevoir, je le regrette aussitôt. Amèrement. Une lumière crue du même acabit que celles qui éclairent les tables d'opération me scie les rétines et je les ai à peine entrouvertes que je referme les paupières sur mes yeux martyrisés, une main plaquée dessus en renfort. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ma première hypothèse - et je l'envisage très sérieusement pendant cinq longues secondes - est celle d'une morsure de vampire. Un de ces monstres assoiffés de sang aurait implanté son venin dans ma circulation sanguine et je serais actuellement en pleine mutation. Cela pourrait expliquer pourquoi j'ai la bouche aussi sèche que du papier de verre : c'est l'appel du sang ! Ensuite je me souviens que ces créatures de la nuit n'existent pas plus que le Mordor et les enfants sages.

- Les mecs vont pas tarder à revenir, lance Mia d'une voix légèrement gutturale. Tu ferais mieux de te lever tout de suite si tu veux pas croiser Royce dans ton pyjama riquiqui. By the way, ce short ressemble vraiment à une culotte. Après je dis ça, c'est pas comme si tu t'étais endormie sur lui dans cette tenue...

Quoi ? Quoi ? Quoi ?

Je ne comprends rien du tout ! En quelle langue est-ce qu'elle s'adresse à moi ? Mon esprit, tout emmêlé par cette aiguille inexpérimentée qui le fouille sans ménagement, se trouve strictement incapable de me fournir une explication cohérente. Le prénom du mécanicien, en revanche, me tire violemment de ma torpeur. Elle a dit Royce ? Elle a dit Royce. Royce. Comme électrocutée, je me redresse vivement en position assise, le cœur au rendez-vous, les oreilles bourdonnantes. La souffrance éclate quelque part entre mes deux tympans recroquevillés. Une sorte de feu d'artifice ensanglanté. C'est ainsi que je visualise l'intérieur ravagé de ma boîte crânienne. Là-dedans, ça doit être vraiment moche.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant