Royce

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Y a des filles qu'on aime pas vraiment écouter causer et d'autres qui nous filent de l'urticaire quand elles l'ouvrent. Rachel appartient à la deuxième catégorie. Je m'en étais jamais aperçu jusqu'ici parce qu'elle et moi, on perd généralement pas notre temps dans la communication. La communication verbale, j'entends. 

Elle a posé son cul près d'un Michael geignard et ça fait dix minutes infernales qu'elle refuse de la boucler. Dix minutes, quand t'as une meuf pareille qui te jacasse dans les oreilles, ça fait long. À moitié allongée sur le siège aseptisé, en appui sur ses coudes et les jambes grandes ouvertes au cas où Brad Pitt passerait dans le coin, elle s'obstine à disséquer l'aspect merdique de ma situation. Elle m'abreuve de commentaires sans aucune pitié. 

Non, la pitié, c'est comme les T-shirts : elle connait pas. 

Entre deux éclats de rire rauques, elle nous expose les raisons pour lesquelles elle trouve ma position tordante. "Tordante", c'est le mot qu'elle a utilisé. Je serais prêt à la jeter sur mon épaule et à aller la balancer dans l'un de ces marécages qui grouillent dans le Nord rien que pour la faire taire. Je la regarderais taper dans l'œil d'un alligator et j'attendrais qu'il lui ait mâchouillé un bras dans les règles de l'art pour aller la récupérer. Peut-être que là, elle apprendrait à rester à sa place.

Au lieu d'exécuter ce plan de folie carrément tentant, je me contente de jouer les statues de marbre. Les yeux délibérément scotchés à l'écran éteint de mon portable, je m'arrange pour donner le change. De dehors, on croirait que la conversation en court vaut pas un milligramme de mon attention. Personne peut s'apercevoir que je morfle.

C'est simple, presque naturel. Je suis un as à ce petit jeu. Je l'ai intégré en cabane. Avant la case taule, quand je me foutais en rogne, il fallait que tout le monde dans un kilomètre à la ronde le sente passer comme un séisme. 

Et si j'allais mal, les vautours avaient juste à enfoncer leurs serres dans mes plaies ouvertes pour les infecter. J'étais transparent, une putain de bombe à retardement avec compte à rebours clignotant bien en évidence. 

Au trou, c'est pas le même délire. T'as plutôt intérêt à pas t'afficher avec une blessure purulente et des putains d'états d'âme si t'as envie de terminer ta peine sur deux jambes fonctionnelles.

Alors t'apprends à la boucler, même avec ta gueule et tes yeux. Tu filtres tout, tu laisses rien sortir. Tu deviens un putain de mur. Et si tu flaires l'implosion imminente à force de t'acharner sur les barreaux, si t'as envie de feuler de rage et d'impuissance avant d'être dégusté par la folie... et ben tu te retiens. Tu fermes ta gueule et tu t'empêches même de froncer les sourcils.

- Attends, je suis désolée mec, mais c'est juste trop drôle, s'esclaffe Rachel entre deux hoquets surjoués. J'essaye de me figurer le truc... oh putain, c'est le pied ! Une Williams en plus, tu te fais pas chier ! Est-ce que quand vous allez au resto, c'est elle qui paye ? 

Vas-y, ferme-la.

Elle est imbuvable, putain. Plus qu'une vieille vidange bien sale, le genre visqueux sur les doigts. Je préférerais descendre cul sec le jus d'une caisse qu'on a pas purgé depuis cinq piges que de continuer à me farcir le sarcasme puant de cette meuf.

- Bordel, j'aurais jamais imaginé qu'un jour, Royce Walters serait coincé dans la même merde que moi !

Cache ta joie, connasse.

- Je pense pas que ce soit possible, remarque Hunter en s'éventant avec le catalogue qu'il a fini par délaisser.

- C'est à dire ? 

C'est le translucide qui tend la perche à l'emmerdeuse. Rachel s'humecte les lèvres et dégaine sa réponse dans la seconde, comme si elle l'avait déjà répétée dans sa tête et qu'elle attendait plus que l'occasion de la caser. Elle fait pitié.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant