Royce

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Je suis à treize. Sur une échelle de un à dix où un est l'extase et dix le niveau "je pourrais buter quelqu'un à mains nues", je suis à treize. En général, je carbure à huit, sept les meilleurs jours. Là c'est treize, comme dans "t'as treize putains de secondes pour lever les yeux avant que je t'éclate les incisives sur le bar".

Bordel, y a trente-six mille décolletés dans ce club, trente-six mille paires de seins - la plupart en plastoc, mais bref - et c'est sur ceux de Lily que ce petit merdeux a décidé de bloquer. Je l'ai vue faire sauter deux boutons tout à l'heure, et je savais que ce serait la merde.

C'est compréhensible comme geste, on crève tellement de chaleur dans ce four, que c'est tout juste si j'ai pas les poumons qui me dégoulinent entre les côtes. Elle l'a fait sans même s'en rendre compte, sans aucune arrière-pensée. C'est Lily. Elle fait ce genre de trucs et l'idée que les connards environnants auront envie de se rincer l'œil l'effleure même pas une seconde.

T'es dans le lot, Walters.

Vrai.

Évidemment, quand elle était posée à côté de moi, limite soudée à mes flancs, c'était loin de m'emmerder. Y a même moyen que j'ai passé cinq minutes à jouer à "devinez ce qu'il y a là-dessous" en me contentant des discrets indices qu'elle m'a filés sans le savoir.

Ouais, y a grave moyen que j'ai fait ça. Cette fille peut sourire de toutes ses fossettes et me faire autant de regards de biche effarouchée qu'elle veut, elle reste une meuf de dix-huit piges avec un corps de meuf de dix-huit piges et moi, je reste un mec - et pas le meilleur spécimen.

Je grince des dents quand je vois dégringoler une nouvelle fois le regard de ce petit bâtard en smoking. Mike. Mike de mes deux. Il fait semblant de checker sa montre, l'enculé. Cette technique est grillée depuis des siècles, on la connaît tous. Tous sauf Lily, évidemment, qui ne se rend compte de rien, trop occupée à admirer les lumières au plafond.

L'estomac essoré par une fureur irrationnelle, j'étrangle mon verre de scotch d'une poigne de fer en la regardant tanguer sur son tabouret. De mon point de mire, je la vois très bien ramasser le dernier cocktail qu'on a posé devant elle. C'est quoi... le troisième ? Le quatrième ? Sans même parler des trois shots que les gars l'ont poussée à s'enfiler.

Elle bascule la tête en arrière pour vider sa boisson, elle en fout la moitié à côté. Un autre jour, dans un autre contexte, j'aurais probablement trouvé ça marrant. Je me serais un peu foutu de sa gueule. Là je me contente de fixer l'autre mec en essayant de contrôler mon expression faciale pendant qu'il lui tend un kleenex.

Bien fait pour ta gueule, connard.

Ouais. Je l'ai pas volée, celle-là. Comme pour remuer le couteau, le gars se penche en avant pour lui souffler un truc à l'oreille, sûrement en utilisant la musique comme prétexte. Je lui ai livré la fille sur un plateau d'argent comme le dernier des bouffons, bordel.

Je siffle mon propre verre sans les quitter des yeux. Je suis tellement focalisé sur mes envies de meurtre que je perçois à peine la morsure du whisky. Je sens juste le liquide me mouiller la gorge, mais les sensations de l'alcool sont noyées dans le chaos des autres, plus fortes, moins supportables. Même la musique de jeunes, répétitive et assommante, que dégueulent en boucle les baffles du club, passe à la trappe. Tout ce qui est pas elle se rétracte, relégué à l'arrière-plan par mon esprit malade.

Enfin, y a elle et y a la rage qui se déchaîne comme un cyclone entre les barreaux de ma cage thoracique. Si en général, ça se limite à un bruit de fond, une démangeaison supportable, là en l'occurrence, c'est à deux doigts de me rendre cinglé.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant