Chapitre 12

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Une fois, j'ai été dans un sauna, avec maman. C'était dans l'un de ses spas préférés, celui qui était à quatre-vingts kilomètres de chez nous et qui me confinait à un trajet de trois quarts d'heure en compagnie de ma génitrice. Je me souviens que je détestais aller au spa avec elle parce qu'il y avait plein de piscines dans lesquelles on n'avait même pas le droit de s'exercer aux plongeons. Également parce que je passais des heures à m'ennuyer dans l'eau en attendant que maman et ses amies des concours de beauté aient terminé de laver le linge sale de celles de leurs copines qui avaient le malheur de s'absenter. J'avais une douzaine d'années et je me fichais bien de savoir qu'Annabelle Walsh trompait son mari diplomate avec son professeur de pilates ou que la carte bancaire de Susan Lee ait été refusée chez Givenchy dans la matinée.

Quoi qu'il en soit et comme je le disais, j'ai déjà été dans un sauna. Une seule fois. Quand j'y repense, ma mémoire y associe un concentré de sensations inconfortables. Mon thorax qui semble s'écraser sous le poids accablant d'un air humide, visqueux. L'impression que la totalité de mon épiderme fond et dégouline comme un sorbet aux myrtilles oublié au soleil. Ma jauge d'énergie qui se vide, comme aspirée à la paille. La sueur qui coule plus abondamment que le champagne à un gala de charité... bon d'accord, j'exagère un tout petit peu. Rien ne coule plus que le champagne à ces fêtes-là.

En ce moment, j'ai l'impression d'être de retour dans cette cabane de bois surchauffée à chercher mon souffle en me demandant si je vais devoir quitter cet endroit en rampant comme une chenille et si on me laissera installer ma chambre dans le frigo en rentrant à la maison. Pour ma défense, on avait un très grand réfrigérateur au manoir, un double porte dans lequel j'aurais pu facilement faire passer un lit superposé.

Il fait trop chaud !

- Lily ? m'appelle Mia en claquant des doigts devant mes yeux pour attirer mon attention.

C'est le bon moment pour avouer que je ne sais pas claquer des doigts comme ça ? Je n'ai jamais su. Nathan adore me le rappeler. Je ne sais pas non plus faire de clins d'œil réussis, quand j'essaye avec ma paupière droite, la gauche fait une mini crise d'épilepsie et on dirait que j'ai une poussière coincée dessous. Heureusement que je ne suis pas du genre à aguicher des garçons de cette façon comme le faisaient certaines filles au lycée, parce que j'aurais l'air bien bête.

- Quoi ? je crie par-dessus la musique en plissant un peu les yeux parce que le spot devant lequel la Colombienne s'est plantée m'éblouit sévèrement en plus de donner à mon amie des airs de Jésus-Christ.

La musique ricoche dans ma tête et m'engourdit. C'est encore de l'électro ou quelque chose du même style. Ça produit des affreux bruits de scies qui vous zigouillent les cellules cérébrales. Avec un petit soupir, je me laisse glisser contre le dossier du sofa pour m'avachir un peu plus. Le cuir se colle au tissu de mon haut. Je gesticule sur la banquette, mais je crois que si on pouvait échapper à la chaleur en remuant, on le saurait depuis longtemps.

Rah ! Je meurs de chaud. Il fait combien ? Sûrement un truc comme... deux cents degrés ! Ou cinq cents ! Il fait combien sur le soleil, déjà ? J'ai vu ça en physique, je crois. Avec Monsieur Norton, ce prof qui nous obligeait à pousser la chansonnette au tableau s'il avait le malheur de nous voir mâcher du chewing-gum en classe. Moi je n'en prends jamais parce que j'ai peur qu'une mastication répétée me fasse une mâchoire de Bogdanov.

Je tire sur le col de ma chemise déjà déboutonnée d'un cran pour dissiper la sensation d'asphyxie et cligne des paupières en essayant de me focaliser sur Mia. Je la vois plisser les yeux. Son regard exécute plusieurs allers-retours entre mon visage et les verres vides, puis elle fait un accent circonflexe avec ses sourcils. Je ne sais pas si elle est contente que j'ai bu trois shots comme une grande personne qui sait s'amuser ou si elle m'en veut d'avoir sifflé sa tequila.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant