Chapitre 34

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J'étais soulagée quand un professeur glissait ma copie au coin de ma table avec un "Excellent, comme d'habitude, Mademoiselle Williams" alors même que je doutais sérieusement de m'en être sortie. J'étais soulagée lorsque j'arrivais au service de restauration de mon lycée privé après la pause midi, mais qu'il restait quand même des portions végétariennes. J'étais soulagée à chaque fois que Nate renonçait à l'une des dangereuses lubies qui le prennent de temps en temps - la dernière en date ? Le Parkour, cette discipline sportive qui consiste à franchir des obstacles urbains par d'inutiles figures acrobatiques en attendant que, lasse de vous regarder vous ridiculiser, la mort ne vienne vous faucher. J'étais soulagée le jour où j'ai réuni assez de courage pour annoncer à ma mère que je ne deviendrai jamais mannequin.

C'est pour l'avoir éprouvé à de nombreuses reprises que je peux affirmer avec certitude que le soulagement n'a rien de commun avec ce que j'éprouve en ce moment. Ce n'est même pas une question de nuances. Aucun nom n'a été inventé pour désigner l'émotion qui, avec la puissance d'une vague Australienne, torpille mes organes. Un amalgame d'euphorie, de reconnaissance et d'apaisement. Ça ressemble à... C'est comme de chuter d'une falaise en appréhendant la collision fatale avec le sol rocheux pour ne rencontrer au final qu'un nid de coton.

Royce va bien ! Il est bien vivant et très en colère, tout est rentré dans l'ordre. J'y songe en sautant sur mes pieds presque sans m'aider de mes mains, vive et titubante comme une sportive olympique alcoolisée. L'impulsion survient de nulle part et me propulse comme un boulet de canon vers mon mécanicien immobile. Heureusement pour lui, un boulet de canon mal réveillé d'à peine cinquante-trois kilos tout mouillé. Sa crispation perpétuelle se transforme en tétanie au moment où je l'atteins, mais il n'a pas le temps de songer à me repousser que mes bras ceinturent son buste de granit comme s'il était une bouée gonflable et moi une naufragée du Titanic dans les eaux glaciales de l'Atlantique Nord.

Ses mains se referment très vite sur mes épaules et, loin de chercher à me rendre mon étreinte, s'échinent à me repousser. Je pourrais imputer son rejet immédiat à la présence de mon oncle, juste derrière, s'il ne m'avait pas habituée à ce genre de réticences. Dommage pour lui, je suis trop bien accrochée. Ils ont beau avoir leurs griffes en plus, à côté de moi, les koalas ont encore du chemin à parcourir. Royce doit se rendre compte qu'il ne parviendra pas à gagner ce combat sans me causer une luxation sévère, parce qu'il laisse tomber au bout de deux secondes. Il patiente, rigide comme une brique, les bras légèrement écartés, que cette crise d'affection aiguë me passe.

Sous mon oreille aux aguets, le grondement puissant de son cœur sonne encore mieux que le hit de l'année. S'il existait une boîte aux lettres céleste et un système postal capable d'acheminer de manière sécurisée le courrier jusqu'aux portes de l'Eldorado divin, j'irais de ce pas rédiger une lettre de remerciement de ma plus belle écriture et avec mon stylo-plume préféré ! Mais je ne suis sûre de rien, je me contenterai donc d'adresser mentalement toute ma gratitude à la bonne âme qui a pris mes prières en considération. Exceptionnellement, je ne hume pas sur Royce le parfum chimique que dégagent les moteurs, pots d'échappements et diverses huiles automobiles et qui le suit généralement à la trace. Outre une légère empreinte de lessive, ses vêtements ne dégagent pas d'odeur particulière. C'est déroutant.

Et puis, alors que j'avais tout juste pris la décision de camper sur cette position rassurante jusqu'au mois prochain, tout s'écroule. Je ne sais pas d'où me vient le brusque éclair de lucidité qui douche sans crier gare mon bonheur. Peut-être du soupir contrarié et assez audible que laisse échapper Chris dans mon dos, mais je parierais plutôt sur l'objet dur et métallique à la forme parfaitement reconnaissable que j'ai le malheur de deviner sous le T-shirt de Royce, coincé à l'arrière de son jean. Une arme à feu.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant