Chapitre 40

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Bien malchanceuse est Cendrillon dont le rêve prend cruellement fin sous les douze coups de minuit. Le mien se poursuit et s'approfondit, indifférent à la petite aiguille temporelle qui vient de dépasser le point culminant de l'horloge. Aucun carrosse ne se mue en légume, aucun blanc destrier ne recouvre sa forme de rat et je ne me foule pas la cheville en perdant bêtement un soulier pour la simple et bonne raison que je n'en porte pas. Alors que l'héroïne à la pantoufle de verre se voit obligée d'abandonner son prince, j'enroule fébrilement les bras autour de mon mécanicien pour me rapprocher de lui, avec son approbation cette fois. Nuls Marraine fée ou trompe-l'œil magiques ici. Pas d'autre sortilège que celui, divin et redoutable, qui a fait de Royce mon centre d'attraction.

Je suis assise sur ses cuisses, mais quelques indésirables centimètres séparent encore nos T-shirts et j'hésite à en venir à bout. Je ne sais pas si je peux. J'ai passé la dernière heure accrochée à Royce comme une moule à son rocher, mais c'était différent. C'était avant mon... intrusion, avant que ma bouche n'ait la bonne idée d'agresser pacifiquement la sienne. Et puis, je n'ai plus vraiment d'excuse : je ne suis plus en train de tituber devant les portes du sommeil. Au contraire, je me suis rarement sentie aussi éveillée, chacune de mes cellules vient d'allumer une bougie et j'éprouve violemment la chaleur des flammes, juste en dessous de mon épiderme. Royce la perçoit peut-être aussi lorsque ses grandes mains rêches passent derrière mes cuisses et tirent d'un coup sec pour me remorquer vers lui, mettant un terme à mon dilemme et froissant mes draps au passage.

Un parterre de fleurs sauvages s'épanouit à l'intérieur de mon abdomen lorsque je rencontre la barrière de muscles qui sert de ventre à Royce. À travers le double obstacle de tissus qui nous sépare, je devine avec une précision redoutable les muscles en question, je les sens onduler et s'affermir. J'ai beau rationaliser la chose en me rappelant qu'il n'y a là rien de plus qu'un assortiment de fibres contractiles, je ne peux pas m'empêcher de trouver ça agréable. La nature est vraiment bizarre, parfois. Bataillant pour déglutir, je fais mine de ne pas avoir entendu la pensée licencieuse qui vient de m'effleurer l'esprit. Non, je ne me suis pas demandé quelle allure peut avoir mon mécanicien sous son T-shirt. Jamais de la vie. Mia pourrait se laisser aller à ce genre de spéculations, pas moi.

Déboussolée par la tournure inhabituelle qu'ont prise mes idées, il me faut quelques secondes pour prendre conscience du regard que Royce braque sur mon visage écarlate. Je me rassure en balayant à mon tour d'un œil pratiquement aveugle les quelques traits de son visage dont la pénombre me fait grâce. L'obscurité est si épaisse, si profonde, qu'il y a peu de chance qu'il déchiffre sur mon expression mes rêveries coupables.

Cette réflexion m'a à peine traversée que Royce se penche sur le côté et tâtonne brièvement sur ma table de nuit. Il lui faut moins de dix secondes pour trouver l'interrupteur de ma lampe de chevet à papillons. Il cille à peine lorsqu'une nuée de lépidoptères lumineux prennent leur envol sur mes murs et revient à moi après avoir gratifié l'illusion d'une vague œillade blasée.

Je plisse les yeux le temps de m'habituer au nouvel éclairage et accroche ceux, gris et imperturbables, de mon mécanicien. À la lueur de ma veilleuse, ils semblent exceptionnellement agités. Un éclat turbulent scintille au fond de ses pupilles d'onyx. Envolée la couche de givre qui refroidit généralement ses prunelles, elles me font pour le moment l'effet d'un feu de cheminée dont je me serais trop approchée.

- Alors ? Tu te dégonfles ? souffle-t-il en reposant les mains sur ma taille.

Un court instant, je crains que ses doigts ne brûlent le coton de mon short à cause de la chaleur qu'ils dégagent, mais les plus « problématiques » sont ses pouces qui se faufilent sous l'ourlet de mon haut pour rencontrer ma peau.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant