- T'es sûre que tu veux pas ? s'obstine Mia, la voix étouffée par les lacets de son sweat-shirt sans manches, qu'elle mâchouille pour se distraire.
Je lève les yeux vers les LED mauves qui crachotent leur lumière froide au plafond.
- Sûre de chez sûre.
- Un tout petit, elle tente de négocier.
- Non.
C'est toujours non. Ni un petit, ni un moyen, ni un gros. Je ne ferais jamais une chose pareille sans consulter Nate au préalable. Je ne le ferai jamais tout court. Ces trucs-là sont pour les gens qui ont du cran, ceux qui baignent dans un fleuve de confiance en soi et de certitudes. C'est loin d'être mon cas.
- Un minuscule, insiste la Colombienne qui méconnaît visiblement la définition du mot "non".
C'est pourtant simple : Non. Nom masculin. Réponse négative, refus. Exemple : "Non, je n'ai pas demandé à Royce de me déshabiller et non, je ne lui ai pas avoué qu'il me plaisait comme une enfant de douze ans dans une cour de récré".
Déni. Nom masculin. Refus de reconnaître quelque chose...
- Non. N.O.N, je répète en martelant chaque lettre pour les faire pénétrer dans l'esprit têtu de mon amie.
Sagement installée sur un fauteuil de client, je passe au peigne fin les modèles de tatouages exposés, plus par curiosité artistique qu'autre chose. Je ne peux pas m'empêcher de saluer le travail d'un soupir admiratif. De chaque esquisse se dégage la beauté dans sa forme la plus obscure, la moins apprivoisée... Je ne sais pas trop comment le décrire, je ne dessine pas de cette façon. C'est comme un art entaché dans lequel lumière et ténèbres, harmonie et laideur mènent un combat sanglant. Des éclats vacillants, des ombres craquelées, des formes fluides qui se dégradent aux extrémités, puis tombent en cendre. Un savant mélange de féerie et de décadence, je rêvasse en contemplant une fleur partiellement fanée dont les fragiles pétales pleurent des larmes pourpres.
- Riquiqui.
- Mia...
Je me doute qu'elle cherche surtout un moyen de ne pas penser à l'énorme aiguille qui lui transperce inlassablement la peau du ventre, je ne m'oppose donc pas à ce qu'elle se focalise sur moi. Il n'empêche que je ne me ferai pas tatouer. Ça non. Cette aiguille est vraiment, vraiment énorme. Rien que le fait de la regarder bourdonner sur l'épiderme de mon amie me donne des frissons et mes abdominaux se crispent d'angoisse. Il ne devrait pas y avoir d'anesthésie locale pour ça ?
- Pourquoi pas ? rouspète mon amie.
- Parce que... Quand j'avais dix ans, Nate m'a collé de force un faux tatouage de sirène sur le bras, tu vois ceux qu'ils mettent dans les paquets de chewing-gums... J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand j'ai compris que ça allait rester une semaine entière.
Mon petit récit récolte une chorale de ricanements dans la pièce.
- Tu l'as dit toi-même, t'avais dix ans, rigole la Colombienne.
- Mia, c'est pour la vie, ces trucs-là ! Qu'est-ce qui te dit que dans trente ans, tu seras toujours contente d'avoir des coccinelles qui se baladent sur ton abdomen ?
- Je m'en fous, je serais vieille et moche, de toute façon. Allez, une petite plume sous les côtes... ou regarde là-bas, tu pourrais te faire faire ce cupcake sur la hanche, qui le verrait ? argumente mon amie en désignant l'un des innombrables croquis colorés qui dévorent la totalité des murs, du sol au plafond.
L'endroit pourrait être étouffant s'il n'était pas d'abord fascinant. Les dessins, tout en ombres, courbes et détails, sont d'une rare précision. Mis en valeur par les lueurs spectrales des néons, ils dotent ce lieu d'une aura... mystique. J'aime bien. Vraiment. On se croirait dans l'antre d'un démon au génie déchaîné. Ou d'un génie aux pulsions démoniaques, à voir.
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Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]
Romance-----[TOME 2]----- Il y a les secrets que l'on garde, le genre que l'on couve soigneusement et que l'on emmène jusque dans la tombe. Et il y a ceux qui sont faits pour être déterrés. Key Haven regorge de ces secrets. Quand l'un d'eux finit par explo...