Ma vision trouble démolit pour reconstruire à sa guise des facettes du visage qui me fait face, mais même en voyant double et en pixels, je ne peux pas ignorer l'aura malfaisante qui se dégage par ondes glaçantes de cet ange démoniaque. Un ange parce que ces traits aussi follement harmonieux et ces courtes boucles d'un étrange blond vénitien ne peuvent qu'être ceux d'un cousin de Gabriel. Démoniaque à cause du néant qui règne dans les deux prunelles habitées. Aussi parce qu'il a des fossettes et que des fossettes, quand on a passé les trente ans, c'est forcément maléfique !
Je serre mes lèvres l'une contre l'autre sans lui répondre. C'est malpoli, j'en ai bien conscience, mais je suis ivre, non ? Les gens ivres ne sont pas forcés de se montrer courtois, c'est là tout l'avantage : on leur pardonne tout ! Nate m'a raconté que son père a uriné dans un pot d'Hortensias en rentrant saoul d'une soirée, une fois, et que sa mère a juste jeté les fleurs sans épiloguer sur l'incident. Il dit que c'est parce qu'on ne peut pas en vouloir aux personnes bourrées, qu'elles ne sont pas elles-mêmes. Moi je pense surtout que sa mère est aussi imbuvable que la mienne et qu'elle ne peut pas reprocher à son époux de se noyer dans l'alcool pour oublier qu'il est coincé à vie avec une sorcière dans un corps de "Barbie et la magie de mode".
- Hein ? je demande parce que les lèvres d'enfant de cœur du démon viennent d'onduler sans que je ne saisisse un mot.
- Lily, je présume, répète patiemment l'homme avec un fort accent d'Europe de l'Est.
Il a la même façon de s'exprimer que Vladimir Poutine quand ce dernier parle anglais pendant ses discours. Il est peut-être russe. Peu importe qu'il soit russe, polonais ou bosniaque, il est surtout flippant ! C'est... je ne sais pas, c'est une sorte d'impression. Je hoche faiblement la tête et tords nerveusement ma bouteille en plastique dans mes mains. Je me souviens bien de lui, à présent. Oui, je me rappelle. Dans ce bar avec Royce, le soir où j'ai appris que mon mécanicien sortait de prison. C'était il y a genre... une éternité. Et ce monsieur lui avait proposé de la drogue ! Il ne l'avait pas dit ouvertement, mais je suis presque sûre que c'était de la drogue.
Je m'écarte instinctivement quand il incline le buste vers moi. Il fait comme s'il n'avait pas remarqué mon mouvement de recul et pousse un verre plein dans ma direction.
- C'est ma tournée, susurre-t-il quand je lève des yeux interrogateurs vers lui.
S'il croit que je vais boire ça, alors il est encore plus fou qu'il n'en a l'air. J'ai suivi des conventions de prévention contre tous les types d'agression au lycée, et ne consommer que ce qu'on nous sert est une des règles d'or pour rester sain et sauf. Comme je n'esquisse pas un geste en direction de son offrande, il arque ses sourcils presque inexistants.
- Je ne bois pas de verres offerts par des inconnus, je décline en haussant les épaules.
Plus amusé que vexé, il sourit. Je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça un sourire, ni même s'il est seulement capable d'avoir l'air joyeux, son visage osseux se déforme douloureusement et ses lèvres s'étirent étrangement pour lui trouer des fossettes déplacées dans les joues.
- Tu as bien raison, il commente simplement pendant que je fixe le col ébène de sa chemise bien coupée.
- Euh... bon ben... je vais..., il va falloir que j'y aille, j'essaie maladroitement de prendre congé.
- Ce n'est pas prudent pour une fille comme toi de se promener seule de nuit, il décrète et son regard abyssal qui se balade à sa guise sur ma figure déclenche des battements désordonnés dans ma poitrine.
Une fille comme moi ?
- Si tu veux, je peux te déposer chez toi.
Je crois que je ricane. C'est nerveux, compulsif. Ça m'échappe tout simplement.
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Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]
Romance-----[TOME 2]----- Il y a les secrets que l'on garde, le genre que l'on couve soigneusement et que l'on emmène jusque dans la tombe. Et il y a ceux qui sont faits pour être déterrés. Key Haven regorge de ces secrets. Quand l'un d'eux finit par explo...