Chapitre 7

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Ça y est. J'endosse de nouveau le rôle de cette petite créature intrigante que l'on inspecte avec un mélange de curiosité et de suspicion. Un peu comme les foussas, les molochs ou les papillons caniches du Venezuela. À la limite, ces derniers passent encore : avec leurs prunelles démesurées et leurs ailes cotonneuses, ils ne sont pas si déplaisants. Les foussas, en revanche, sont juste inquiétants, il n'y a qu'à regarder Madagascar pour le comprendre. Et les molochs sont des reptiles, alors... enfin bon, personne n'a envie d'être comparé à un ovipare écailleux.

- Pourquoi tu me demandes ça ? m'interroge Royce sans cesser de m'observer bizarrement.

Ce n'est pas un "bizarrement" positif, les "bizarrement" sont rarement positifs de toute façon. Mais je ne crois pas que ce soit un "bizarrement" négatif non plus. C'est juste un "bizarrement" point barre.

- Parce que. Tu sortais d'un salon de tatouage, tout à l'heure.

Il me considère sans un mot, la mine impassible. À présent, le mécanicien a l'air plus détendu. La tension crépitante de non-dits, de fantômes et d'incertitude qui intoxiquait l'atmosphère s'est brusquement évaporée et Royce a retrouvé une attitude à peu près décontractée en même temps que son flegme coutumier. Peut-être parce qu'on ne parle plus du fait qu'on l'ait accusé d'avoir éliminé mon père et que je ne m'attarde pas sur le sujet de ses méfaits. Je ne le fais pas parce que je me doute que si ces derniers étaient gravés sur un rouleau de parchemin, le manuscrit se déploierait fatalement jusqu'à mes pieds et traînerait par terre. Et parce que je n'ai pas très envie de m'appesantir là-dessus.

J'ai un épais plumage sombre, deux grandes pattes griffues et, perchée au sommet d'un long cou, une tête qu'il me plait d'enfouir dans le sable lorsque je me sens menacée. Qui suis-je ?

- Je me posais la question, c'est tout, je formule en déclipsant et reclipsant nerveusement la coque de mon portable pour m'occuper les doigts.

Avant, j'en avais une beaucoup plus chouette en forme de tablette de chocolat Wonka, mais Nate me l'a fissurée en essayant de prendre un selfie en haut de la Bloody Tower.

- Quoi ? je demande parce que Royce continue de me fixer sans prononcer un mot avec ses yeux impénétrables et que je trouve son silence un tantinet intimidant.

Il est toujours debout face à moi avec sa bonne tête en plus, les pointes usées de ses bottes à quelques millimètres de mes converses neuves, les mains nonchalamment logées au fond de ses poches. Si la décontraction avait un visage, ce serait le sien. Je suis encore adossée à la façade de l'immeuble. Un employé de la supérette vient d'en abaisser les stores automatiques et, mis à part le chat errant qui éventre un sac poubelle et se régale près des bennes à ordures, il n'y a plus que nous.

La rue est complètement déserte. Elle est également mal éclairée, mais bien moins exiguë et malodorante que les artères sinueuses qui sillonnent les quartiers Nord. Elle est surtout beaucoup moins inquiétante, mais c'est peut-être tout simplement lié à la présence rassurante du mécanicien. Quand on a un Royce à ses côtés, il est difficile de se faire du mouron pour sa sécurité. Et on fait des choses stupides et irréfléchies auxquelles on aurait pas songé ne serait-ce que l'ombre d'une seconde en temps normal. Comme par exemple participer à une course de moto illégale au beau milieu de la nuit, ce genre de chose...

Bref.

Il ne dit toujours rien. Franchement, il n'y a que lui pour garder le silence aussi longtemps sans être incommodé ou mal à l'aise. Je ne sais pas comment il tient, moi je dois me mordre la langue pour me retenir de combler le blanc. Et puis, c'est bizarre de faire ça. Je ne me souviens même plus ce que je lui ai demandé... ah si, les tatouages. Peut-être qu'il trouve que ça ne me regarde pas. Je me détourne de lui et lève les yeux au ciel pour masquer ma vexation.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant