Royce

7.8K 460 545
                                    

C'est pour ça que laisser un bout de meuf à peine majeure me récurer le cerveau était une idée de chiottes, pour ça qu'il fallait pas lui servir de chauffeur et encore moins m'approcher de sa bouche aux allures de fruit mûr.

J'aurais dû m'écouter, ça m'aurait évité de me retrouver en plein milieu de la nuit à jouer les pisteurs dans un camp de gipsys parce que mademoiselle est pas foutue de faire ce qu'on lui demande ou de se tenir à carreaux deux minutes.

Ça en fait dix que j'écume le terrain en guettant un éclat blond dans la pénombre. La pénombre est la meilleure pote de mon espèce, mais là, elle devient mon ennemie. Lily s'habille tout le temps dans des couleurs de filles repérables à trois bornes et le jour où ça m'arrangerait qu'elle porte ses sapes de gamine heureuse, il a fallu qu'elle se fringue en noir.

J'ai pas la moindre putain d'idée d'où elle a pu décamper. C'était quoi l'objectif, en fait ? Tester les limites de mon indulgence inexistante ? Elle est en pleine partie de son jeu de prédilection : « comment faire disjoncter Walters ». Là, elle vient de pulvériser son record.

Elle me les brise.

Zéro blague, elle va le sentir passer dès que j'aurais mis la main sur elle, pompette ou pas.

Les filles avec lesquelles - dans lesquelles - je traine peuvent être quinze fois moins attirantes que ce spécimen-là, quand tu leur dis « assis », elles s'asseyent. Rachel compte pas, elle me hait trop pour obéir, même si ça l'empêche pas de me laisser lui passer dessus quand je suis d'humeur.

Je presse le pas, plus gavé par cette traque improvisée à chaque minute qui file, à chaque enjambée qui m'enfonce dans le sable. Le sable me fait chier. Le morceau de rap grésillant qui s'échappe d'un mobile home et me pollue l'audition me fait chier. Lily me fait chier. Je suis gavé.

Le mot que tu cherches, c'est stressé.

Je me contrefous d'être mauvaise langue.

Rien à cirer que cette ado soit la meuf la moins contraignante ou la plus supportable que j'ai jamais croisé dans toute ma pathétique existence. Tant que je rumine contre elle, tant que je prépare le savon que je vais lui passer, j'ai pas à me la figurer en train d'errer seule dans ce camp de clodos avec un taux d'alcoolémie à quatre.

J'ai à peine pensé « alcoolémie » que je double un ivrogne titubant aux allures de serpillère. Je le vois se bidonner tout seul en galérant à s'allumer une clope et ma tension artérielle fait une embardée. Je voudrais m'en griller une aussi, mais je suis trop mal pour faire autre chose que serrer et desserrer les poings.

Cette zone craint moins que d'autres. On est encore loin des coupe-gorges cartographiés dans les profondeurs du Nord. N'empêche, si cet endroit est comme je m'en souviens, c'est ici que les fournisseurs moyens stockent la came. Ça bicrave fort et la racaille y prolifère comme ailleurs.

Et comme les cauchemars, c'est la nuit que cette racaille prend son pied, quand les ombres sont assez épaisses pour garder le secret de leurs vices. Je le sais, je faisais partie de ces mecs que personne n'a envie de croiser dans une ruelle déserte passé minuit.

Les gens veulent pas plus te croiser de jour que de nuit, ducon.

J'essaye de la voir à travers les yeux du type lambda qui pourrait tomber sur elle entre deux caravanes isolées. Coup de pression. L'exercice me force à accélérer. Elle porte une connerie en or autour du poignet, je l'ai repérée ce matin à la seconde où elle s'est pointée dans mon champ de vision.

Ça m'arrange pas du tout. Je suis pas bijoutier, mais je serais pas surpris que le prix de ce bidule affiche trois zéros au compteur. Minimum. Je l'aurais croisée y a quelques années avec ce truc, je me serais servi sans me poser de question. Réflexe.

Pure [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant