Trouver l'équilibre

36 ~ Plus jamais

Un flot d'images immergea dans sa tête. Elle fit tout pour taire ces images silencieuses, mais rien n'y faisait. Elle avait perdu la notion du temps. Mais aussi celle de son identité.
Qui était-elle?

Avait-elle déjà existé?

Penser devait vouloir dire qu'elle était. (NDA: "Je pense donc je suis" du philosophe Descartes) 

Elle avait l'impression de redécouvrir sa propre vie. Et étrangement, elle vit des choses qu'elle ne pensait même plus voir de ses propres yeux. Elle reconnut ce temple entouré d'arbres et dont la cours donnait sur une fontaine et un petit jardin de fleurs de lune. C'était chez elle. Là où ses parents vivaient. Au pays de la lune. Un petit village caché dans les montagnes. Son berceau. 

Puis elle vit Keisuke. Son petit frère. Il se baladait tranquillement avec sa canne à pêche sur l'épaule, souriant fièrement, se dirigeant vers la rivière qui bordait la colline. Jaya sourit tendrement. C'était il y a neuf ans. Elle s'en souvenait désormais comme si c'était hier. Un des plus beaux souvenirs qu'elle n'eut jamais eut avec son frère. Elle l'avait accompagné, parce qu'il pêchait pour la première fois seul. Ce jour là, il avait réussi. Et cela avait été sa fierté. Ils étaient si heureux. 

Pourquoi pleurait-elle dans ce cas? Pourquoi sentait-elle que c'était la dernière fois qu'elle le voyait? Elle avait peur de rouvrir les yeux, et que tout ça ne disparaisse pour toujours. Sa petite bouille lui manquait. Ses petits cheveux ondulés, son rire. Tout lui manquait. 

D'autres souvenirs refirent alors surface. Sa tante, qui s'était toujours occupée d'elle, caressait tendrement sa tête avec un sourire non dissimulé. Un geste maternelle que la toute petite fille adorait par dessus tout. Elle était comme sa propre mère. Celle qu'elle n'avait jamais eut l'impression d'avoir. Sa tante et son frère avaient été les seuls à la défendre pour ce qu'elle était. Elle était admirable et partout où elle passait, la sérénité régnait. Mais cette femme qui paraissait pourtant si forte succomba. La maladie l'avait emporté dans le gouffre infini, la laissant à nouveau seule. Et Jaya se retrouva à nouveau dans les griffes de ses parents. 

Elle revit sa première tentative de fuite lorsqu'elle n'avait que douze ans. Tout le village avait été à sa recherche. Non pas pour la protéger, mais pour la supprimer. Elle avait couru si vite. Elle était effrayée à l'idée de retourner chez elle. Elle voulait fuir là où personne ne pourrait jamais l'atteindre. Son corps tout entier lui criait douleur. Elle s'en fichait. Il fallait courir. Mais on la rattrapa. Un agriculteur par chez qui elle était passée pour voler de la nourriture l'avait remarquée. Et il l'avait dénoncée. Le lendemain en fin d'après-midi, on la força à rentrer. 

Oui, elle se souvenait. C'était une change-terre. Comment avait-elle pu effacer ce souvenir de sa mémoire? Elle vit Keisuke lui tenir la main dans le couloir du temple tout en lui souriant d'un air rassurant. Il était le plus jeune, mais sûrement le plus courageux. Il l'avait poussée à faire ce qu'elle n'aurait jamais espéré tenter à nouveau.  

- Vas-y. Je te couvrirais. Chuchota t-il en caressant sa main. 

Jaya se retenait de pleurer, pour son frère. 

Et cette fois-ci, elle était partie pour de bon. Sans se retourner, elle avait fuit, sans possibilité de revenir un jour. Et ce fut la dernière fois qu'elle les vit tous. Elle avait été marqué au fer rouge par toute ces émotions par lesquelles elle était passée. Frustration, colère, rancœur, amertume, honte. Puis le dégoût, la douleur, et enfin, la tristesse. La solitude. Elle ne trouvait plus les mots. 

Mais elle pu revivre ce fameux jour où on l'avait percutée après des années à marcher sans savoir où aller. Elle ne pouvait que se souvenir de ce visage, de ce sourire et de cette gentillesse incroyable. Ils avaient vécus une folle aventure, et elle lui en été reconnaissante. Grâce à lui, elle avait aussi connu l'espoir. La gratitude, la joie, la compassion...L'admiration. L'amour. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de tomber de cette falaise avec ce garçon.