1+ Prologue

9.7K 374 152
                                    

— Quatre mois, Leah ! C'est non négociable. 
— Mais tu avais dit seulement deux ! 

La médiation s'annonce ardue depuis la crise qui m'est tombée dessus la semaine dernière. Je n'ai aucune envie de mettre les pieds à la faculté pour étudier car cela fait voler mes projets en éclat, mais la durée allongée de ma punition me semble injuste. Il apparaitrait que vendre la voiture offerte par mon père pour la vie étudiante qu'il avait imaginée pour moi était une mauvaise idée. Je pensais me montrer responsable en économisant pour mon voyage mais le principal concerné ne le perçoit pas de la même façon.

— Tu es irrécupérable, m'annonce le patriarche, désespéré. 
— Je n'ai jamais été très douée dans le tri des déchets.

Mon humour fait un flop. La sanction qui s'apprête à tomber semble être sévère mais je m'attendais à plus de cris vu sa colère d'il y a quelques jours. M'engager à être présente en cours, quitte à dormir sur la table n'a rien d'insurmontable. Je suis déjà une experte en la matière en ayant redoublé mon année de terminale, à force de trainer devant les séries au lieu de réviser. Cependant il faut que je sois prudente car capituler maintenant reviendrait à lui faire comprendre que je suis capable d'encaisser bien plus. Je me suis résolue à l'idée que je n'étais pas faite pour passer des heures assises sur une chaise à écouter un cours magistral. J'aime l'oisiveté, l'imprévu et les coups de folie. Je ne connais pour l'instant aucun métier qui s'accorde à ces critères et ne commence qu'à 11 heures. En revanche, ma vie d'électron libre ne convient pas à mon père qui, d'après son regard, m'indique qu'il me réserve bien pire que ce qu'il a annoncé. 

— Park Leah, tu es le contraire d'une adulte responsable. 
— Roh, papa, arrête. Tu vas me faire pleurer. 
— Je le sais, tu ne prends rien au sérieux. Mais je vais sortir la carotte qui va te faire avancer, p'tit âne.

Son déplacement vers sa chambre puis son retour accompagné d'une mallette me fait hausser un sourcil. Va-t-il m'envoyer dans un camp de redressement ? Je prends conscience que je suis loin de la vérité lorsqu'il ouvre la valisette pour me présenter des liasses de billets. Je ne crois pas en avoir déjà vu autant de toute ma vie. 

— Promis, je t'aide à braquer la prochaine banque. 
— Devant toi, il y a la somme nécessaire pour réaliser ton tour du monde, et même une deuxième virée si tu t'ennuies tellement. C'est bien là ton rêve, je ne me trompe pas ?

Ma tête se hoche d'elle-même, captivée par ces morceaux de papier qui rendraient heureuse la rêveuse que je suis. Tant de pays et de cultures méritent d'être visités que je trouve scandaleux de se contenter de sa petite vie sans jamais pointer le bout de son nez dans le jardin d'à côté. Mon père le sait après m'avoir entendue lui rabâcher mes désirs pendant des années. Mon objectif était de valider ce baccalauréat pour fuir au bout du monde. Avec quel argent ? Je pense que j'aurais commencé une partie du voyage grâce à la vente de la voiture et aurais enchaîné des petits boulots au fur et à mesure. Mais cette mallette change totalement la donne. 

— Qu'est-ce que tu attends de moi ?

Son sourire m'indique que son poisson est ferré. Un tel montant équivaut à une demande colossale. Je suis tout de même curieuse de savoir si je serai à la hauteur de ses espérances, malgré mon statut d'adulte médiocre. 

— Très bien. Je vois que nous allons parler le même langage. Cet argent, il faut le mériter et tu vas devoir attester de cinq obligations. Je te conseille de bien écouter et de suivre attentivement ce document. Point numéro un, tu devras être assidue aux cours et valider tes examens d'hiver. 
— Mes exams... Mais ça n'a jamais été dans le deal. Tu avais juste parlé d'être présente aux cours.
— On n'interrompt pas l'autorité quand elle parle, jeune fille. Point numéro deux, tu devras prier pour l'âme charitable de celui qui accepte de t'héberger pendant ces quelques mois et le remercier chaque jour de sa grande patience. Ta mère a déjà contacté son amie et organisé ta venue vu que son fils cherche aussi un colocataire. 
— Son fils ? Mais... C'est un garçon ! 
— Et alors ? Au point où on en est, je ne fais plus de distinction. Ce petit aura bien du courage pour te supporter. Point numéro trois, tu devras te trouver un travail, ma grande, car tu payeras seule ton loyer et tes courses comme une adulte responsable. 
— Et ton magot ? 
— Oublié ! Et je t'annonce que j'utilise les sous de la voiture pour ton inscription. Point numéro quatre, tu devras me montrer qu'il y a autre chose dans ta vie que tes livres et les deux piles électriques qui te servent de copines. Ce n'est pas sain de passer les jours sans voir la lumière du jour sans s'en rendre compte.

Mes sourcils commencent à onduler avec un regard plein de jugement, tant je trouve exagéré ses reproches envers la magie qu'offre la lecture et les deux personnalités les plus solaires qui aient existé dans ma vie. La vie, ou mon niveau scolaire nous a séparés physiquement pendant cette dernière année et c'est bien la seule raison qui me fait me réjouir de quitter cette ville de Daegot-Myeon pour la capitale. Mais le changement de plan concernant mon logement ne me plait guère, surtout qu'elles avaient ardemment travaillé leur scénario de chambre hantée pour faire fuir leur troisième colocataire. La guerre ne se gagnant pas en fonçant dans le premier bataillon venu, j'écoute Kim César exposer son dernier point qui prend tant de temps à être énoncé dans sa déclaration diabolique. 

— Et enfin ! Le grand final. L'élément qui me permettra de garder en lieu sûr les économies de toute une vie pour tes études, la chose que tu ne parviendras jamais à réaliser. 
— Vas-y, accouche, tu me fous les jetons, lui dis-je en baillant. 
— Un petit ami ! 

Je reste bête, figée à le dévisager avant de me pencher sur ce bout de papier pour m'assurer que mon audition est correcte. Son rire retentit dans la maison tandis que je lis les petites lignes qui indiquent qu'aux vacances d'hiver, je devrai être en mesure de présenter à mes parents un homme avec qui je partagerai des affinités. Le voir s'esclaffer, persuadé que j'ai déjà une carte d'abonnement pour le célibat ad vitam aeternam me donne envie de le prendre à son propre piège. Rien n'interdit le fake dating dans ce document et mon père, étant de la vieille école, ne mesure pas à quel point les réseaux sociaux peuvent être utiles de nos jours. 
Ma curiosité me pousse à réfléchir sur ce qui motive mon père à proposer un tel pari, cependant je reste concentrée à me repasser une à une les informations. Affalée sur ce dossier, j'observe les cinq arguments qui me permettraient de vivre des mois de folie à travers le monde et réalise qu'ils sont loin d'être insurmontables. Avant qu'il ne change d'avis, j'appose ma signature avec précipitation et récupère une copie du contrat. Le défi est donc lancé. J'ai quatre mois pour suivre les cours, réussir mes examens, faire comprendre à ce mystérieux colocataire qu'il devra me laisser tranquille, me trouver un job étudiant ainsi qu'un atelier de tricot et enfin, m'inscrire sur Soulmate-Korea. 

Plus motivée que jamais, je remplis ma valise et en profite pour me renseigner sur ce qui m'attend à Séoul. Je ne suis pas surprise de découvrir qu'un rendez-vous pour l'inscription à la faculté a déjà été pris mais je m'inquiète d'autant plus sur cette histoire de logement. Sur le pas de la porte, je tente de poser ma dernière question au grand tyran de la famille, ex-lieutenant-chef à l'armée.

— T'as dis qu'il s'appelait comment celui qui m'attend ? 
— Lee Minho. L'adresse est sur ton papier. Apprends à lire. Allez, bon vent ! ricane l'homme persuadé que j'échouerai à son test. 

La porte me claque au nez et me laisse avec des souvenirs peu agréables d'une enfance marquée par notre jeune voisin qui a déménagé il y a maintenant plus de dix ans. Je pense au sable glissé dans ma culotte, le chewing-gum collé dans les cheveux ou encore les insultes entendues dans sa bouche sans leurs significations. 

— Puterelle, répété-je comme pour formuler un sort. 

Aucune année passée ne pourrait me faire oublier ce petit prétentieux et agaçant garçon aux mèches trop longues qui se vantait de sa popularité aux écoles maternelle et élémentaire alors que mes fêtes d'anniversaire restaient tristement vides. J'ignorais encore à cette époque que dans le monde existait deux personnalités pétillantes qui n'attendaient qu'une seule chose, de me rencontrer. 
Telle l'adulte que je dois devenir, je mets de côté mes souvenirs et me munis de mon téléphone pour trouver le bus adéquate afin de me rendre à l'adresse indiquée. Il aurait été pratique d'obtenir un numéro, mais mon père n'a certainement pas voulu me faciliter la tâche. Il ignore à quel point mon envie de quitter ce pays est capable de motiver mes ambitions. Je lui décrocherai la première place aux examens, ou la centième si on veut être réaliste, mais ce premier semestre sera validé avec succès, parole de Park Leah. 
Les écouteurs dans les oreilles, je monte le son de ma playlist pour faire passer le temps et informe mes meilleures amies de l'aventure qui m'attend. 

Le Coloc Idéal : dans tes rêves, Lee Minho !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant