18+ La vie en rouge

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La vision du salon dévasté à mon réveil me confirme que je n'ai pas inventé les dernières heures. Plus une place de libre n'est visible sur la table basse remplie de chips et de bouteilles de bière. Le tapis a été enroulé sur lui-même avec les fleurs du vase en embout, donnant une impression de pétard géant. Ma première réaction est l'effroi, qui me pousse à ne pas guetter le réveil de Minho pour tout remettre en ordre et entamer le nettoyage. Je ne me soucie pas du bruit que je produis en passant l'aspirateur ni en faisant la vaisselle, puis je suis rappelée à l'ordre par l'heure qui m'indique que je suis attendue au campus pour un temps de torture. Ma toilette se fera donc rapide, chose que je regrette immédiatement d'avoir prononcée quand je découvre l'ignoble dessin sur ma joue. J'aimerais tant que cela ne soit qu'une grande saucisse accompagnée d'une olive mais le gland ne laisse que peu de possibilités aux autres hypothèses. Pendant que je lui ai quasiment fait tout le ménage, mon colocataire dormait tranquillement après m'avoir dessiné une bite et un testicule. La chose n'est ni proportionnée ni correspondant à la réalité, à moins que je n'ai mal observé les attributs masculins lorsque je les avais sous le nez. Toutes les insultes défilent dans ma bouche pour atteindre son âme, ses ancêtres et sa future progéniture. Je me promets de réduire en cendre son outil de séduction et commence à frapper contre la porte de sa chambre, prudemment verrouillée.

— Lee Mi-nho !

Tambouriner ne sert à rien puisqu'il n'y a aucune trace de vie derrière cette cloison, même lorsque je lui confie ce que j'ai sur le coeur à travers des mots condamnables par la justice.
Le temps s'invite dans cette fête en me rappelant que je dois choisir mes batailles. Je n'ai plus beaucoup de marge avant de manquer mon bus et frotte mon visage au démaquillant. Le résultat n'est pas exceptionnel et m'oblige à porter un masque, feignant d'être malade pour ne pas provoquer l'hilarité des camarades. Mes vêtements enfilés, je m'apprête à partir quand mon corps se fige devant la buanderie laissée ouverte. J'ai la vision de l'un de ses t-shirts préférés trônant juste à côté de ma culotte rouge. L'occasion est trop belle. Je jette les deux tissus dans la machine à laver et programme un cycle long pour que les couleurs aient bien le temps de dégorger. Ma vengeance sera donc subtile mais piquante lorsqu'il voudra étendre le linge.

Cette perspective détend aussitôt mes muscles et me permet de rejoindre le campus sans exploser de rage. Je ne discute avec aucun être vivant de mon cursus jusqu'à ma pause du midi en compagnie de mes amies. L'excuse de la soudaine grippe ne passe pas et je suis contrainte d'abaisser mon armure. Les éclats de rire de Yeji attirent l'attention des autres tables alors que Yuna se décide à analyser le dessin avec sérieux.

— Ça représente un canon ?
— C'est cela, un grand canon et une boule...
— T'es sérieuse ? la reprend Yeji.
— Ben je ne vois pas de bite là-dedans. De toute façon, j'suis nulle aux tests des taches d'encre.
— Et c'est lequel qui s'est pris pour Picasso ? enquête Yeji.
— Ou Van Gogh pour la couille coupée ?
— Changbin ou Minho. Ils étaient complètement bourrés, ce qui n'excuse pas leur geste.
— Elle était où Ryujin dans cette histoire ?
— Loin de moi. Je n'ai eu le droit à aucun mot, comme si j'étais limite une inconnue.
— Ou une rivale, ajoute Yuna.
— C'est dingue comme elle peut avoir plusieurs facettes. Nous, on a vraiment du mal à s'en dépêtrer.

Mes amies ne tardent pas à me conter les nouvelles actions suspicieuses de celle qui m'a visiblement dans son viseur alors que j'ai toujours été conciliante avec elle. Mon instinct commence peu à peu à trouver un écho dans la caisse de résonance de mon cerveau et me pousse à cesser de voir en elle un individu de confiance.
Plus les heures passent et plus j'imagine des scénarios tordus avec une chambre sur écoute et des caméras planquées dans l'appartement jusqu'à ce que mon job de cleaner me remémore les actes dont j'ai été victime. Changbin ne m'accorde même pas le luxe d'approcher vers un premier poste plein de sueur qu'il explose de rire en me voyant avec un masque. Il n'est pas rare que les gens en portent à la capitale, avec tous les virus de saison qui traînent, mais ceux-ci sont retirés dans les salles de sport pour une meilleure oxygénation. Le coup de chiffon sur les fesses que lui donne Felix ne calme pas son hilarité, apportant une ambiance étrangement joyeuse dans la salle, au détriment de ma fierté.

— Qu'est-ce qu'elle nous cache sous le masque, la Leah ?
— Ta bite, réponds-je du tac au tac.
— J'ai toujours su qu'elle était toute petite, me soutient Jisung.
— On se retrouve maintenant dans les vestiaires si tu doutes, le provoque Changbin.

Je suis curieuse de voir si mon allié ira au bout de son idée, malheureusement une ombre vient ternir cette bonne humeur et me provoquer des frissons désagréables. Telle une vague malaisante, Juwon déambule d'un pas lent mais victorieux dans une salle où il ne devrait pas mettre les pieds. Son odeur de clou de girofle me rappelle mes passages chez le dentiste et vient apporter une excuse supplémentaire à mon incompatibilité avec lui.

— Je vois que ça s'amuse bien par ici, constate-t-il avec des insinuations plutôt claires.
— Ton bureau est devenu si nauséabond qu'il t'a pris l'envie de chercher de l'air ici ? le provoque Felix.
— On peut dire ça. Je viens voir comment se comporte ma nouvelle recrue après plusieurs semaines d'essai. Le divertissement est respecté si j'en crois le cirque que vous faites.

Le silence est éloquent. Aucun de nous ne prend la peine de répondre, le laissant dans ce qu'il prétend savoir sans pour autant trouver un appui critique. L'humiliation et la gêne sont des sentiments qui s'inspirent de son attitude quotidienne. Ce jeune homme doit être un esprit torturé pour jouir de la noirceur qu'il propage.
Nous choisissons de retourner à nos postes pour le pousser à s'en aller. Malheureusement pour moi, Juwon me suit comme mon ombre, se délectant de mes gestes qu'il pervertit et attendant la moindre excuse pour me faire des reproches.

— C'est ça, frotte. Un peu plus fort sur le cylindre. Voilà. Tu y arrives très bien. T'es douée.

Mes mains se figent, comme choquées de l'image que l'on m'attribue et je remercie l'intervention de Felix qui me sort de ce guêpier. Un prétexte est donné pour renvoyer ce fumier à l'accueil dans les plus brefs délais. Honteuse de prétendre avoir un caractère fort mais d'avoir complètement subie cette situation, je fuis son regard, ne voulant pas en discuter avec lui.

— Ça va ?

Mon absence de réponse se salve par une main qui se pose sur la mienne et une autre qui se glisse dans mon dos pour me consoler. Les secondes s'écoulent au rythme de ce corps qui se rapproche du mien jusqu'à ce que nous soyons l'un contre l'autre, pour un moment de réconfort. J'oublie que le blond au parfum fort est mon patron et accepte quelques secondes de me présenter comme vulnérable à ses yeux. Au creux de l'oreille, il m'indique avoir eu le temps de crever les roues de sa voiture et me promet bien pire s'il me prend l'envie de le lui demander. Me sentir comme soutenue est déjà troublant, mais sous la protection d'un homme est déroutant. Dernièrement, je suis plus habituée à les affronter qu'à les écouter. Consciente de cette première barrière que nous avons franchie, je cherche son regard et me rends compte qu'un individu nous fixe longuement depuis la sortie des vestiaires.

— Minho ? s'étonne Felix qui s'écarte de moi pour rejoindre son ami. Il s'est passé un drame ?
— Non, répond froidement mon colocataire. Je n'ai pas besoin que le monde s'écroule pour passer vous voir. J'interromps quelque chose ?

Sa colère est énigmatique car je semble être la coupable de ce qui le chiffonne alors que mon patron de salle ne profite pas de ce regard de tueur.

— Pas vraiment. Leah a passé un moment donc je lui exprimais mon soutien.
— Serrer dans tes bras ton employée sur le lieu de travail, c'est justifiable ?
— Euh...

Le côté moralisateur de la question touche sa cible puisqu'à la façon dont Felix fuit notre proximité, je suis certaine qu'il gardera dix mètres de distance entre nous. Cependant, la proposition de Minho nous prend une fois de plus de court et vient interrompre cette gêne ambiante.

— Comme Leah a fait tout le ménage ce matin, je suis passé la récupérer pour éviter qu'elle ne rentre en bus. Pour la remercier en quelque sorte. Mais si vous avez encore besoin de vous cajoler, je peux attendre.
— Non non. C'est bon, marmonne son ami.

Mes paupières s'activent à la recherche d'un aveu de songe ou d'enchantement. Lee Minho est-il réellement gentil avec moi ou espère-t-il me tuer et m'abandonner en me poussant de sa voiture ? Felix accepte aussitôt que je parte avant l'heure pour ne pas avoir à assumer notre rapprochement et me laisse entre les griffes de ce monstre sournois. Dans les vestiaires des filles, je prends le temps d'informer Yeji et Yuna de la situation pour que des recherches puissent être lancées si je venais à disparaitre. J'en profite pour effacer les dernières traces du phallus dessiné sur ma joue et enfile ma tenue de guerrière avant de me jeter dans la gueule du loup. Lee Minho ne fait jamais rien sans attendre quelque chose de précis en retour. Il ne me reste plus qu'à savoir quoi.

Le Coloc Idéal : dans tes rêves, Lee Minho !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant