16+ Jugement facile

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J'ai officiellement un travail. Moi, Park Leah, la pro du canapé et des livres dénichés sur les sites de vente en occasion. Et la fierté me pousse à noter que cet emploi me sort de la zone de confort. Qui aurait cru que celle qui prône l'acceptation de ses formes naturelles sans effort évoluerait au milieu des bodybuildés ?
Cette bonne humeur me fait oublier que je rentre vers un foyer où m'attend le nain le plus agaçant des contes de fées, Grincheux. J'aime à m'imaginer comme l'héroïne de l'histoire. On sous-estime trop souvent la puissance de ces œuvres qui ont traversé le temps. Le bar jouerait le rôle de la mine et il ne me faudrait qu'en modifier la fin avec la ferme intention que le prince lui fouette le derrière de son épée plutôt qu'il m'embrasse sans mon consentement. Différentes tortures voient le jour dans mon esprit jusqu'à ce que je compose le code de la porte et bute contre le bois. Le voyant affiche la couleur rouge, m'indiquant une erreur de frappe. D'un regard gêné et agacé, je m'assure que personne n'a assisté à mon visage écrasé sur cette surface plane, puis prends le temps d'appuyer sur chaque touche en le marmonnant avant de valider. À nouveau, le message d'erreur s'affiche en rouge. Le doute m'assaille, remettant en cause ma capacité à mémoriser quatre chiffres. Je connais mes faiblesses en mathématiques, mais là, ça devient inquiétant. Je n'ai d'autres choix que de sonner inlassablement jusqu'à ce que mon colocataire veuille bien m'ouvrir. Vu le temps qu'il met, je m'étonne qu'il soit déjà endormi en ce début de soirée, cependant c'est un visage radieux et en pleine forme qui me fait face.

— Quel plaisir de te voir à la porte ! Il ne manque plus que la valise pour que mon rêve se réalise.

Mon majeur se lève plus vite que l'insulte ne fuse et je le bouscule afin de pénétrer dans ce qui n'est chez moi que sur le papier, aux yeux de mon colocataire. Je meurs d'envie de lui rappeler que c'est lui qui m'a quasiment suppliée d'emménager avant que Hyunjin ne joue le rôle du médiateur, mais une inquiétante idée me pousse à le questionner.

— Tu n'aurais pas osé changer le code ?
— Oups, répond-il en haussant les épaules.

Je suis certaine de voir danser des flammes dans mes pupilles tandis que je le visualise sur une broche à tournoyer sur un feu de joie.

— Tu n'es pas au bar à cette heure-ci ? lui dis-je pour qu'il sorte de ma vue. 
— Je suis en retard. Pourquoi ? T'as quelque chose de prévu ? Je te rappelle qu'en cas de fête, tu dois me prévenir à l'avance.
— Rassure-toi, le seul divertissement qu'il y aura sera avec mon canard dans mon lit.

Sa bouche s'ouvre comme je l'avais espéré et me permet de jouir de quelques secondes de silence apaisant. Malheureusement, toute bonne chose a une fin et celui qui devrait se trouver à quinze minutes d'ici s'accorde le temps de faire bouillir de l'eau pour un thé à la menthe.

— Rappelle-moi de ne jamais compter sur toi en cas d'impératif.
— Je ne répondrai même pas à tes appels donc ne perds pas ton temps à essayer.

Ce grossier personnage me fait autant rager que sourire à l'idée d'avoir enfin trouvé un adversaire à ma taille. Je n'oublie pas ses crasses de passé et meurs d'envie d'identifier ses faiblesses pour le torturer. Ce que je sais pour l'instant est que l'individu Lee Minho est doté d'un super pouvoir de la bite si j'en crois sa réputation et d'une incapacité à regarder l'heure.

— Tu sais, j'ai officiellement signé pour un job.
— Ravi de l'apprendre, me répond-il avec aigreur. Tu viens de m'ôter l'occasion de te virer de chez moi pour cette raison.
— Et même que mon patron est très mignon. Je suis sûre qu'il pourrait te défoncer d'un coup de poing.

Ma capacité à déformer la réalité me vient de mon père, qui à l'origine a survendu la taille de ses attributs pour s'assurer l'intérêt de ma mère. Celle-ci se plaît à nous raconter cette histoire pourtant intimiste à chaque verre de soju trop corsé. Je ne vois pas Felix comme un garçon agressif ni spécialisé dans les arts martiaux. Physiquement, la carrure de Minho est plus impressionnante, mais cela, il n'est pas censé le savoir.

— Mensonge. Je couche qui tu veux.
— Tu surestimes tes capacités.
— Et c'est mal vu de baiser avec un supérieur.
— Me fais pas la morale alors que tu dragues les clientes.

La mention de son travail le fait enfin réagir, le poussant à se hâter dans la consommation de son thé. Mais l'eau étant trop chaude, la stupidité incarnée hurle de douleur sans s'arrêter de vider le contenant.

— Tu es un véritable désespoir, Lee Minho.
— Ramasse ta bave, le crapaud, moi, au moins je n'ai pas redoublé.

La méchanceté gratuite fait son effet puisque je me vexe sans prendre la peine de camoufler ma douleur. Sans un mot ni un regard, je l'abandonne avec son thé en espérant qu'il s'étrangle et ne parvienne même pas à formuler de l'aide, mourant ainsi seul comme il le mérite.
Je ne suis pas une personne stupide. Fainéante, peut-être. Pas adaptée à la scolarité, tout à fait. Mais il ne faut pas croire que cette erreur de parcours résume mon intellect. Je ne me définis pas avec un dossier scolaire. Les lignes ne demandent jamais quels sont nos rêves, nos attentes, nos désirs. Si l'administration s'intéressait un peu plus à ce qui se cache dans nos tripes, ils verraient que beaucoup font des choix de carrières universitaires qui sont finalement à l'opposé du métier qu'ils obtiennent. Je veux juste m'épargner ce temps perdu et vivre la possibilité de concrétiser mes rêves.

Alors que je pose mon sac dans ma chambre et installe le drap prêté par Yuna, j'entends la porte se refermer, me permettant de comprendre que la solitude a enfin repris sa place dans ma vie pour quelques heures. J'ignore encore les horaires de travail de mon colocataire, mais vois le verre à moitié plein en sachant qu'il sera amené à sortir souvent en soirée, limitant ainsi nos interactions et échanges peu productifs.
Avec peu d'enthousiasme, je m'attaque alors au dossier envoyé par l'un de mes professeurs qui exige l'analyse d'un personnage de la littérature anglaise alors même que nous n'avons vécu que deux jours dans ce cursus. Je ne sais pas où commencer, me mélangeant les idées et reproches qui engagent mes convictions. Les mots s'écrivent et s'effacent jusqu'à ce que j'entende à nouveau cette porte claquer. Le signal est donné pour que j'abandonne là ma première tentative de formatage au monde scolaire. Les yeux épuisés par la lumière de l'écran, je trouve des difficultés à calmer mes pensées, surtout en entendant mon colocataire marcher en frappant des talons, visiblement au téléphone.

— Ouai, j'ai son numéro. Une bombe, je te dis. Elle m'invite dans sa chambre demain pour un cours de langue, ricane Minho. J'vais lui apprendre quelques techniques du pays.
— Si tu pouvais commencer par la technique du silence, ça serait cool, hurlé-je en me redressant dans le lit.
— Euh ouai, attends, bouge pas. Y a ma nouvelle coloc qui me parle. Qu'est-ce que t'as dit, mamie ?
— Va sucer un esquimau, Lee Minho.
— Si ça te fait plaisir ! Ouai, elle ne dort pas. J'sais pas pourquoi et je m'en fiche. J'suis pas sa nounou. Elle a dû lire encore ses conneries. Allez, on revient à ma jolie brune.

Je n'entends pas la suite et m'en fiche royalement. Son jugement basé sur quelques moments partagés et suppositions m'agace au point de frapper des jambes dans ce lit moelleux qui ne m'accorde toutefois pas la sérénité souhaitée.
Fixant cette porte, je me promets de frapper fort quand il s'y attendra le moins. Lee Minho ne se doute pas du monstre qu'il a réveillé.

Le Coloc Idéal : dans tes rêves, Lee Minho !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant