Blood Lovers || Kagehina

Chapitre 37.

Shōyō

L'orage imminent alourdissait l'air. Il sentait les poils se dresser sur sa nuque tout en dessinant à la craie les volutes complexes d'une rune de prouesse au sommet de leur colline. Il plaça aux quatre points cardinaux une bougie noire qui devait atténuer les effets de la coupure qu'il allait faire. Enfin, il traça au centre une rune noire en forme de chandelle identique à celle qui marquait le dos de Tadashi.
Kōshi l'observait du perron, le menton levé, avec Tadashi qu'il tenait par la main. Il avait accepté de l'aider après que Shōyō leur avait expliqué, à lui et à Tadashi, ce qu'il avait en tête, et parce que Tadashi y avait consenti. Il allait souffrir, mais son père n'aurait désormais plus aucun pouvoir sur lui. La rune resterait, ainsi que le danger, mais ses souffrances les plus immédiates disparaîtraient.

Shōyō était vêtu d'un long pantalon blanc et d'une chemise choisie par Tadashi dans son placard. Elle était verte, la couleur préférée de ce dernier, afin qu'il puisse se concentrer sur elle et sur Hinata pendant le long rituel durant lequel le rouquin arracherait les liens unissant la rune noire à son père pour en nourrir la terre.
Kōshi et Tadashi le rejoignirent, et, debout devant sa rune qui mesurait près de trois mètres, ils entaillèrent leurs poignets et répandirent leur sang pour ancrer la magie dans la terre.

- Terre, nous te nourrissons, prononça Shōyō.

Et Kōshi reprit avec lui :

- ... afin que le cercle de notre magie puisse se refermer.

Hinata entraîna Tadashi au centre de la rune en l'obligeant à enjamber les lignes afin de ne pas brouiller le tracé, le fit mettre à quatre pattes et remonta sa chemise.

- Es-tu prêt ? lui demanda Shōyō.

Son dos frémit et il vit les doigts du plus jeune s'enfoncer dans l'herbe des deux côtés de la rune noire.

- Oui, répondit Tadashi, et Shōyō toucha doucement - fièrement - son échine.

Avec la pointe d'un couteau épais mais bien affûté, il incisa de nouveau son poignet et traça rapidement un cercle de sang autour de la rune du dos de Tadashi. Il s'accroupit, à la recherche d'une position confortable puis, inspirant profondément, il laissa goutter son sang sur la rune de prouesse tracée dans l'herbe. La terre trembla, le vent se leva et fit voler les cheveux de Shōyō autour de son crâne.

- J'attraperai ce qui tombera, fit Kōshi.

Il tendit la main par-dessus le cercle pour remettre à Shōyō ses lunettes de vision du sang.
Hinata barbouilla de sang la lame du couteau en lui intimant à voix basse de glisser entre les mondes et de trancher la peau, l'air et la magie. Puis il serra le manche dans son poing et, sans crier gare, lacéra les côtes de Tadashi de haut en bas pour couper son sort de liaison de la veille et réveiller le pouvoir de Tadashi.
Il hurla, mais tint bon.
Le ruban tressé glissa de sa taille et Shōyō vit à travers les verres des lunettes son sort de liaison se rompre. Les filaments rougeâtres de la magie de son père s'agitèrent comme des tentacules, qu'il trancha avec son couteau. Chacun était maintenant coupé, mais restait collé à la lame où il se tordait en brûlant l'acier et la main du rouquin. Hinata serra les dents. Sa respiration était sifflante et aussi coupante que la lame.
Tadashi gémit. Ses doigts s'enfoncèrent dans la terre.
Shōyō lâcha le couteau et frappa dans ses mains sanglantes pour activer les minuscules runes d'enfermement qu'il avait tracées au marqueur sur chacun de ses doigts et sur ses paumes. Puis il tendit les bras pour recueillir dans ses mains en coupe les tentacules ondulants de la magie. Il fallait agir vite avant qu'elle ne puisse renouer ses liens avec le père de Tadashi.

- Va, Tadashi, dit Shōyō.

Tadashi se laissa tomber, puis roula sur le dos. Shōyō s'agenouilla, étira les tentacules et plaqua leurs extrémités au sol pour les enfoncer dans la terre.
La rune de prouesse brilla d'un rouge si aveuglant que Hinata recula avec un sursaut en regrettant de ne pouvoir jeter loin de lui les lunettes de vision du sang.
Tadashi poussa un grognement. Shōyō murmura son nom et adressa à la terre une bénédiction, un chant destiné à les unir l'un à l'autre. Tadashi l'entonna avec lui sur un ton monocorde et heurté, et le vent soufflait violemment sur eux.
L'éclat de la magie diminuait. Hinata frissonna.

- Maintenant, c'est fait, dit-il. Tadashi est lié à la terre du sang.

Au-dessus d'eux, le tonnerre gronda. La pluie se mit à tomber et le rouquin leva la tête en repoussant les lunettes sur son front. L'eau tiède ruisselait sur son visage, dans son cou, plaquant ses vêtements contre son corps.
Kōshi le rejoignit ; tout deux, ils aidèrent Tadashi à s'asseoir. Il serra Shōyō dans ses bras et se pencha vers Kōshi. Ils restèrent immobiles, épuisés, tandis que la pluie les purifiait et que le ciel bénissait leur magie.