Chapitre 57.

34 8 0
                                    

Shōyō

Le lendemain matin, il apporta à l'écurie de l'eau, du poulet froid, du pain et quelques vêtements pour Kaito. Il avait médité son plan toute la nuit, il l'avait examiné sous tous les angles, tourné et retourné jusqu'à ce que les premiers rayons de soleil se glissent par sa fenêtre. Mais plus il se sentait sûr de lui, sûr d'être sur la bonne voie, une minuscule partie de lui-même espérait que Kaito y décèlerait une faille.
Shōyō poussa de la hanche la porte de l'écurie.

- Kaito ? appela-t-il tandis que ses yeux s'habituaient à la pénombre.

- Ils mijotent quelque chose, répondit Kaito d'une voix calme, mais tendue.

Il se leva. Il se tenait à l'avant de la cage, dont ses mains encerclaient mollement deux barreaux. Hinata posa l'assiette de nourriture et les vêtements sur une caisse et suivit son regard.
Cinq corbeaux perchés sur la table observaient le rouquin, la tête inclinée exactement au même angle. Les quatre autres sautillaient nerveusement sur le sol à côté des restes de son homuncule.

- Que faites-vous ? demanda Shōyō en s'accroupissant à côté d'eux.

Les neuf oiseaux lui répondirent par un croassement fébrile.
L'un des corbeaux de la table en racla le bloc avec ses serres. Shōyō leva les yeux vers lui. Il tapota doucement du bec l'extrémité d'une lancette.

- Du sang ? Tu veux du sang ?

- Ils ont passé toute la nuit près de ces saletés de restes, commenta Kaito alors que Hinata se relevait.

Le corbeau saisit délicatement l'instrument dans son bec et vint se percher sur l'épaule du rouquin, aussi légèrement qu'il le put. Ses griffes s'enfoncèrent dans sa peau, réveillant une douleur familière, et le sang coula le long de son bras. Il tendit la main ; le corbeau laissa tomber sur sa paume son précieux fardeau. C'était une lancette de médecin en acier, simple et tranchante.
Alors que Shōyō l'examinait, les neuf corbeaux se rassemblèrent autour de l'amas de boue qui avait été sa poupée. Celui qui s'était perché sur son épaule s'avança, puis se tourna vers lui, les ailes déployées, exactement dans la pose du corbeau que Shōyō avait cloué sur la poitrine de sa poupée avec le tuyau de plume.

- Tu veux que je te poignarde ? chuchota Hinata, et il crut un instant que son cœur avait cessé de battre et la terre de tourner.

Les oiseaux restèrent immobiles. Ils n'étaient plus que neuf et leur bande ne s'était pas reconstituée au cours des deux semaines passées. Comment pouvait-il en tuer un de plus alors que leur nombre diminuait à ce rythme ?
Derrière lui, Kaito secoua les barreaux de la cage.

- Réfléchis bien, dit-il.

Mais Shōyō pressentait que c'était chose faite : les corbeaux s'en étaient chargés pendant toute cette nuit. Le rouquin avait donné à Kaito une preuve de confiance en lui ouvrant la cage, et il devait agir de même avec les corbeaux. Il s'agenouilla donc, la lancette entre les doigts, et attendit que le sang s'écoule de son bras jusque sur le métal de l'instrument.

- Comme tu voudras, dit-il au corbeau.

Ses ailes tremblaient et Shōyō entendait le sang rugir dans ses oreilles. Il ignorait ce que les corbeaux projetaient et pourquoi ils exigeaient ce sacrifice, mais Hinata se fia à eux, et c'est sans hésiter qu'il lui donna le coup fatal.
Les neuf oiseaux crièrent en chœur.
Shōyō retira la lancette et recula tandis que les huit corbeaux se rapprochaient du cadavre. Ils effleurèrent de leurs ailes la poitrine sanguinolente de leur compagnon et y trempèrent leur bec pour ne plus former qu'une masse grouillante de plumes noires d'où fusaient des piaillements angoissés, dès glapissement et des râles. Tous crièrent de nouveau. Un frisson parcouru l'échine de Shōyō et les poils de ses bras se hérissèrent.
Il ne restait plus qu'un grand corps grouillant d'ailes, de becs et de griffes.
Les mains plaquées sur la bouche, il entendit le grondement étouffé de Kaito. Les corbeaux se métamorphosaient ! Shōyō trempa les doigts dans son sang et en jeta quelques gouttes sur eux en guise de bénédiction.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant