Chapitre 19.

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Tobio

  Une semaine jour pour jour avait passé depuis sa confrontation avec le monstre de boue. Planté dans l'allée, il attendait sa mère en compagnie de Kaito. Le soleil lui brûlait les épaules à travers sa chemise bien repassée. Il aurait aimé desserrer la cravate qui l'étranglait. Accoudé à son épaule, son frère tournait involontairement les yeux vers le filet de volley surplombant d'un mètre cinquante le toit de la camionnette, mais ils avaient renoncé à jouer après une brève discussion sur les risques de transpiration et leurs conséquences avant d'aller à l'église.
  Mieux valait s'ennuyer jusqu'à ce que maman sorte enfin de la maison.
  Et puis Tobio n'était pas si sûr d'être en état de se dépenser physiquement.
  Il fit rouler sa tête pour détendre les muscles de sa nuque. Il avait rêvé que des roses envahissaient sa gorge et qu'il suffoquait. Depuis son réveil, il avait une sensation de vertige, probablement liée au manque de sommeil.

- Ça va ? demanda Kaito en ôtant le coude de son épaule.

- Pas de problème, répondit Tobio avec un haussement d'épaules, puis il ferma les yeux pour se protéger de la lumière aveuglante.

  Kaito ne répondit pas. Le noiraud entrouvrît un œil et vit qu'il l'examinait d'un air renfrogné.
  Tobio referma les yeux. Son frère poussa son épaule du doigt, et il faillit tomber à la renverse. Il eut soudain la nausée.

- Tu es cramoisi, dit-il en lui saisissant le bras. Je crois que nous ferions mieux de rentrer.

  Le soleil était accablant.

- Tobio ?

  Il avait l'impression que Kaito s'était éloigné d'une distance équivalente à la moitié d'un terrain de foot.

- Tobio !

  Tobio secoua la tête. Son sang rugissait dans ses oreilles. Kaito le toucha, puis passa la main dans son dos.

- Tu es brûlant, dit-il, et il l'entraîna vers la maison.

  Tobio avait comme l'impression que ce serait encore sa faute si ils manquaient la messe une fois de plus.

  Les roses l'enrobaient au sol. Sa mère écarta ses cheveux de son visage, murmura quelque chose où figurait le mot « fièvre », puis les roses resserrèrent leur prise. Leurs tiges épineuses encerclaient son cou.  Il se débattit. On empila des couvertures sur lui. Il avait très chaud. Trop chaud.
  À certains moments, Tobio se rendait compte qu'il rêvait. À d'autres, il ne savait plus si c'était Ryōta ou Kaito qui était assis sur son lit. Il y avait une autre femme dans la chambre, les bras arrondis comme pour valser. Elle se pencha vers lui, souriante, et voulait l'entraîner dans la danse. « C'est mon air préféré », chuchotait-elle.
  Des roses grouillaient sur les murs dans sa chambre et s'accrochaient au plafond en y plongeant leurs racines. Les fleurs rouges le regardaient en hochant toutes la tête au même rythme : celui de son cœur. Des tiges serpentaient sur son corps et sa bouche était remplie de pétales qui, lorsqu'il toussait, s'élevaient en voletant. Il roula vers le côté du lit ; maman était là. Elle le retint par les épaules en murmurant son nom.
  Les fleurs l'étouffaient. Il vomit dans un bol que lui tendit maman. Elle lui frictionna le dos et l'aida à se rallonger. Il se rendormit.

  Il faisait nuit quand Tobio s'éveilla en sursaut d'un autre cauchemar. Il se noyait de nouveau, mais, cette fois, dans une boue fluide et froide.
  Un cercle douloureux lui enserrait les côtes, qui ne pouvaient plus se dilater assez pour lui permettre de respirer normalement. Il fixa le plafond à motif de pop-corn. Il était nu. Pas de roses en vue. Seulement sa chambre. Les chiffres lumineux du réveil l'informaient qu'il était 1h43.
  Tobio se contraignit à se détendre et fit le bilan de son état physique.
  La fièvre était tombée. Il ne transpirait plus. La sensation de brûlure intérieure avait cessé. Il avait un mal de crâne diffus, et très soif. Ses muscles étaient endoloris, mais pas trop. Dans l'ensemble, il se sentait plutôt bien. Il était complètement réveillé et sentait l'aigre.
  Comme son vertige avait également disparu, il se dirigea sans bruit vers la salle de bain plongée dans l'obscurité et prit une douche, laissant l'eau tiède goutter de son nez. Lorsqu'il eut allumé pour se brosser les dents, il s'examina dans le miroir.
  Il avait les yeux cernés et l'affaissement de ses épaules trahissait sa fatigue.
  La meurtrissure que le tuyau de plume avait laissée sur sa poitrine était plus sombre.
  Il ferma les yeux, éteignit, puis ralluma pour la regarder de nouveau.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant