Chapitre 50.

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  Tout en peignant les runes sur la peau, Yasuo m'a expliqué qu'il avait possédé cinq corps en trois cents ans. Il s'était emparé d'eux au gré de sa fantaisie ou, parfois, de la tienne.
  Je pleurais, terrifiée à l'idée que tu avais toujours su à quoi t'en tenir, que tu m'avais fait croire à ton amour alors que c'était seulement une enveloppe que tu voulais : mon corps, mais habité par Yasuo.
  Les larmes me brûlaient les tempes et le sol tremblait sous moi. Je ne savais plus qu'une chose : je devais m'enfuir. Je refusais de mourir ainsi, de devenir une marionnette entre les mains de Yasuo. Mais je savais que je n'aurais qu'une seule chance de m'enfuir. Yasuo était expérimenté et vigoureux. Je devais le prendre par surprise, sinon j'étais perdue.
  Millimètres par millimètre, j'ai avancé la main vers le bol d'encre pendant qu'il traçait un motif autour de ma cheville. Son pinceau chatouillait la plante de mes pieds. Je respirais lentement en rassemblant le peu de forces qui me restaient. J'ai enfin refermé les doigts autour du bol.

- Yasuo, ai-je chuchoté.

  Et, au moment où il se tournait vers moi, je lui ai jeté l'encre au visage. Il a hurlé.
  Je me suis enfuie à quatre pattes vers mes rosiers et agrippée à leurs tiges, dont les épines ont transpercé ma peau. Mon sang se consumait dans mes veines. Yasuo m'a empoignée par la cheville pour me tirer vers lui, et un pilier de minuscule épines ont lacéré ma chair nue. Je me suis dégagée, mais Yasuo était trop fort pour moi. Il a lancé un mot et les tatouages qu'il avait peints sur mon corps se sont mit à brûler, me serrant dans une étreinte de plus en plus étroite. J'ai hurlé de douleur. Je m'arc-boutais, les doigts fichés dans la terre, mais il me chevauchait en plaquant ma tête au sol et en frottant mon visage contre les épines.
  C'est un vieux déplantoir qui m'a sauvé la vie. Je l'avais oublié là un mois auparavant, un jour où tu m'avais fait la surprise de rapporter deux billets pour un music-hall itinérant, ce qui nous avait obligés à partir sur-le-champ pour la grande ville.
 
  J'ai empoigné le déplantoir, et, tandis que Yasuo me retournait sur le dos, je le lui ai enfoncé dans le cou.
  Le flot de sang qui a jailli m'a suffoquée. Yasuo a reculé. Je me suis jetée sur lui, toutes mes craintes balayées par la terreur, et je l'ai frappé à la poitrine alors qu'il étreignait convulsivement sa gorge, les yeux béants, les lèvres éclaboussées de rouge.
  J'ai empoigné mes rosiers, leur ai chuchoté quelques mots. Alors leurs tiges dégouttantes de mon sang se sont enroulées autour de Yasuo et l'ont transpercé de leurs innombrables épines.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant