Chapitre 41.

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Shōyō

  Les arbres lui murmuraient quelque chose qu'il ne comprenait pas. Il volait à travers leurs plus hautes branches avec des ailes blanches aux battements silencieux, et affûtait son ouïe de chouette, mais en vain. Il passa dans le corps d'un moineau, dont il guidait l'esprit minuscule au milieu des arbres, jusqu'au moment où il rencontra deux geais bleus qui poussèrent des cris à sa vue. Il les posséda tous deux et déploya ses ailes. Kazuki l'avait rejoints et ils ne formaient plus qu'une volée de noir et de bleu qui étendait son filet au-dessus de la terre. Il posséda également, au passage, des écureuils et une famille de renards. Envahi de petits esprits de plus en plus nombreux, Hinata avait oublié jusqu'à son nom pour devenir la forêt toute entière. Il écoutait, observait, il flairait, et tout ce qu'il recueillait s'amassait en une gigantesque boule d'information qu'il pouvait presque analyser.
  Le vent secouait les arbres. Cependant, Shōyō avait beau ramper le long des racines, filer à travers les branches, effleurer les frondaisons de ses ailes, il ne comprenait toujours rien. Même quand il s'approchait des rosiers et percevait leur énergie, le message restait brouillé.
  Il était l'épiderme de la forêt, mais il ne pouvait atteindre ses os.

  Hinata repartit alors en direction de son corps demeuré au pied de la colline, libérant en chemin quelques-unes de ses petites âmes prisonnières.
  D'abord un raton-laveur, puis le moineau, et d'autres encore : les écureuils, la chouette, les geais bleus, les lapins filant de buissons en buissons, jusqu'au moment où il ne fut plus qu'un renard roux fonçant au milieu des taillis trempés de pluie. Il sentit l'odeur de Tobio, il savait par où le noiraud était passé, car il avait laissé une trace incandescente sur la terre. Soudain, il le vit. Tobio tenait le corps de Shōyō dans ses bras. Il relâcha le renard et réintégra son enveloppe corporelle.
  Comme c'était bon de rester étendu sur la terre tiède et humide, les yeux clos, et de sentir battre son cœur ! Hinata ne remua pas, mais respira selon un schéma circulaire que sa mère lui avait appris pour rétablir le lien avec tous les tissus de son corps et permettre à tout ce qu'il avait vu, entendu et flairé par l'intermédiaire de tous ces esprits d'animaux de se fondre dans le sien. Il lui fallut un long moment pour assimiler tous ces souvenirs. Tout allait trop vite et n'était qu'un déroutant et obscur chaos. Il ne fallait surtout pas forcer, sinon tout devenait une palette vide sur laquelle on n'imprimait que ses propres suppositions. « Tu n'es qu'un animal parmi d'autres, mon lapin, lui disait sa mère quand il était petit. Il suffit de laisser à ton sang et à ton pouvoir le temps d'assimiler le savoir des bêtes. »

  La chaleur qui se répandait en lui émanait du bras de Tobio. Ses doigts reposaient sur les côtes de Shōyō et son pouce sur son sternum. Il sentait légèrement le poids de son autre main, dont les doigts étaient mêlés à ses boucles rousses.
  Un léger sourire releva le coin des lèvres de Shōyō et il se blotti plus près du noiraud.

- Shōyō ? chuchota Tobio.

  Le rouquin ouvrit les yeux.
  Ceux de Tobio étaient tout proches, grands, sombres et ourlés de sang.

- Tobio, dit-il.

- Shōyō, répéta le noiraud.

  Son haleine effleura la joue du sorcier. Ce dernier toucha son visage au-dessous de l'œil.

- Le rouge a foncé, murmura-t-il, et je n'ai pas découvert ce qui a réveillé ta malédiction.

  Les lèvres de Tobio se serrèrent et tout son visage se crispa.

- Mais tu vas bien ? demanda-t-il.

- Oui, répondit Hinata.

  Il s'écarte doucement de Tobio, puis se leva. Son short maculé de boue collait à ses cuisses.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant