Chapitre 7.

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Tobio

  Il fuyait le sommeil et les cauchemars en combattant avec son joueur des monstres électroniques, mi-hommes mi-lions. La bande-son d'une scène de bataille extraite d'un film d'action rugissait sur son iPod, la télé retransmettait un match Japon-États-Unis qu'il avait enregistré pendant la dernière Coupe du monde, et deux ventilateurs vrombissants l'éventaient. Sa canette de Dr Pepper était presque vide et il avait envie d'en ouvrir une autre.
  Bizarrement, ce goût sucré éclipsait mieux que n'importe quoi l'arrière-goût de cuivre qu'il avait toujours dans la bouche. Il l'avait hanté toute la journée, ainsi que la meurtrissure de sa poitrine. Les meurtrissures, au moins, ne faisaient mal que quand il les touchaient, mais ce goût le poursuivait comme s'il voulait sans cesse se rappeler à son souvenir.
  La télé s'éteignît soudain. Le vacarme diminua de quelques décibels et Tobio pivota dans son fauteuil.
  Kaito avait refermé la porte de la chambre derrière lui. Après avoir posé la télécommande sur l'écran de l'ordinateur, il s'accota au mur.

- Ça te dirait d'aller taper dans un ballon ? demanda-t-il.

- Il fait nuit.

  Il était plus de dix heures du soir, Tobio avait très chaud et une seule envie : rester assis dans sa chambre au milieu de ce boucan, et se laisser tout doucement fondre.

- Ah bon ? Avant, si on vous laissait faire, vous jouiez dehors jusqu'à minuit passé.

  C'était vrai pour Ryōta et Tobio, mais quand Kaito était parti pour l'école militaire, il savait à peine faire une passe. Tobio soutint son regard en silence, incapable de lui répondre : tu n'es pas Ryōta.
  La bande-son du film se lança dans un solo de basse tonitruant. Kaito fronça les sourcils et éteignit l'appareil, puis braqua sur lui un regard fixe d'officier supérieur.

- Déconnecte-toi, qu'on puisse causer un peu, dit Kaito.

- De quoi ? demanda le plus jeune en se retournant vers l'ordinateur, et fit la grimace en constatant que son joueur avait épuisé la moitié de sa vie en quelque secondes depuis qu'il l'avait quitté des yeux. L'un de ses monstrueux assaillants lui avait presque arraché le bras.

- Tobio, s'il te plaît. Je ne sais pas combien de temps je vais rester à la maison.

  Tobio acquiesça en serrant les dents, cliqua sur l'icône de Matty pour le prévenir et mis son ordinateur en veille. Kaito s'était installé sur son lit, où il feuilletait les manuels scolaires ouverts et les feuilles étalées sur sa couette.

- Papa m'a dit que tu as eu un B en anglais.

  Superbe entrée en matière, Kaito, pensa Tobio. Il haussa les épaules.

- En Français aussi, dit-il, et j'aurais un C en histoire si je ne me donne pas la peine de retenir dix milles dates pour l'examen final. Et alors ?

- Et ta moyenne ?

  Tobio haussa de nouveau les épaules.

- Moins trois quelque chose. J'ai des A dans toutes les sciences, y compris en math, ok ?

- Il faut être bien classé pour entrer à l'école militaire.

  Pendant un long moment, le seul bruit perceptible dans la pièce fut le vrombissement des ventilateurs. Tobio refoula une envie de hurler et revit soudain les doigts de Shōyō pressés sur le cœur qu'il tenait.

- Je n'irais pas à l'école militaire.

  Kaito tendit brusquement le cou.

- Ne fais pas l'imbécile.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant