Chapitre 59.

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Shōyō

Le plafond de la chambre de Hiro était percé d'une lucarne grossièrement découpée. À travers la vitre, immobilisé par le bras de Yasuo, Shōyō suivait la course des étoiles dans le ciel. Yasuo avait sombré dans l'inconscience en chantant et en serrant le rouquin contre lui. Hinata aurait dû dormir aussi, mais il n'avait pas le cœur de fermer les yeux la dernière nuit où la magie coulait dans ses veines. Il sentait sur sa joue la respiration lente et régulière de Yasuo et le cœur de Shōyō battait au même rythme.
Lorsque l'aube fut proche, il se dégagea.

- Où vas-tu ? chuchota Yasuo.

- Je pars pour mes sept jours de liaison et pour voir le lever du soleil.

Shōyō effleura le front de Yasuo et suivit du doigt le contour de sa pommette juste au-dessous de son œil rouge sang. Il pensa aux plumes noires qui couvraient la joue du nouveau corps de Tobio.

- Si tu perçois de la magie, ce sera la mienne. Ne t'inquiète pas : je rentrerai dès que possible, ajouta Shōyō.

Un doux sourire releva les coins de la bouche de Yasuo tandis qu'il se rendormit.
En l'observant, Hinata sentit les traits de son visage se durcir. Le moment était venu.
Il passa dans la salle de bains pour prendre une douche rapide et revêtir un t-shirt lavande pâle, suffisamment large. Il brossa ses cheveux et noua autour de son poignet droit des rubans violets et noirs pour la force, le pouvoir et la liaison. Un ruban rouge était enroulé autour de son poignet gauche. Sa mère lui disait qu'il fallait prendre l'apparence du rôle qu'on devait jouer, c'était le seul point sur lequel Granny Lyn et elle étaient d'accord. Shōyō enduisît ses mains d'huile d'achillée et de rue qu'il fit pénétrer par un massage, puis sortit de sous son lit la boîte scellée à la cire qui contenait tout ce dont il avait besoin.
Tout au long du chemin sinueux menant au champ de tournesols, il tendit la main pour caresser les feuilles des arbres. Il faisait encore sombre, mais elles le connaissaient aussi bien que Shōyō les connaissait. Il avait fait ce geste mille fois. Mais, aujourd'hui, c'était la dernière.

Il s'arrêta à l'ombre d'un bosquet d'ormes, à côté d'une épaisse touffe d'onagre. Il serra dans une main un poignard affûté et tenait l'autre levée, la paume vers le ciel et les doigts légèrement repliés. Il s'apaisa peu à peu en écoutant le battement de son cœur répandre la magie dans ses veines. Shōyō examina les lignes de ses mains, les coussinets roses et rugueux de ses doigts et les veines bleuâtres serpentant sous la peau fine entre son pouce et son index.
Le vent souffla dans les étroites feuilles d'orme, dont quelques-unes se détachèrent en voletant. Les chants d'oiseaux annonçant l'aube et les lointains tintements des talismans accrochés au sommet du silo ressemblaient à des gloussements de rire.
Shōyō cueillit doucement une fleur d'onagre, dont les quatre pétales jaune vif avaient la couleur du soleil. Il aurait plus que tout aimé piquer le bout de son doigt avec la pointe du couteau pour faire voler cette fleur comme un papillon, pour créer quelque chose de beau avant que sa magie ne s'éteigne.
Mais il ne pouvait pas prendre le risque de modifier l'équilibre fragile de la magie qui se diffusait dans la lame. Il ne pouvait qu'écouter son bruissement dans son corps en priant pour ne pas l'oublier quand il aurait cessé.

Tobio

Il attendait Shōyō au pied du silo.
Ce furent ces cheveux qu'il vit en premier, dansant à la lisière de la forêt. Tandis qu'il avançait au milieu des tournesols, Tobio les contemplait en pensant à Kazuki.
Shōyō surgit du champ comme un roi, dans son short ample et son t-shirt lavande qui se gonflait autour de lui dans le vent. Des rubans sombres flottaient autour de lui comme des filets de sang. Il tenait un couteau dans une main et une fleur dans l'autre. C'était totalement déroutant, comme la première fois que Tobio l'avait vu, perché dans un arbre, affublé de lunettes de protection, chaussé de bottes militaires et les lèvres barbouillées de sang.
C'était tout aussi étrange, tout aussi fou, et en même temps parfaitement normal.

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant