Chapitre 56.

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Shōyō

Faute de mieux, il se servit de sang pour faire surgir du sol de l'écurie des racines qui formèrent les barreaux d'une cage où il emprisonna Kaito Kageyama.
Ce dernier se réveilla de sa possession fulminant de rage. Il essaya d'abord de briser les barreaux à mains nues, à grand renfort de grognements, de hurlements et de jurons, mais ceux-ci étaient bien vivants et leur bois solide. Jamais ce lieu dédié à la beauté, à la magie, à la paix et à la famille n'avait connu un tel vacarme. C'était pourtant là que Shōyō avait amené un prisonnier.
Quand Kaito admit qu'il ne pourrait se libérer par la force, il examina tout avec soin, et plus particulièrement la base des racines. Soudain, il bondit, empoigna deux barreaux pour se hisser et s'éleva vers le sommet de la cage. Les tiges ployèrent sous son poids, mais sans rompre ; quand bien même elles auraient cédé, Hinata en aurait fait pousser d'autres.
C'était une bataille perdue d'avance, et, à son avis, Kaito n'avait pas l'habitude de perdre.

Shōyō l'observait depuis l'angle le plus éloigné de l'écurie, presque entièrement dissimulé derrière un tracteur vert si antique qu'il ne l'avait jamais vu en marche. Il attendit pour sortir de l'ombre que son prisonnier soit resté quelque temps immobile au centre de sa cage.
À la vue du rouquin, il se leva d'un bond, empoigna deux barreaux et exigea qu'il lui dise ce qui se passait et où était Tobio. Shōyō lui répondit qu'il allait tout lui expliquer s'il voulait bien s'asseoir pour l'écouter.
Ils se dévisagèrent pendant un instant, puis Kaito s'accroupît. Il refusait donc les conditions du jeune sorcier, mais, à sa manière de relever le menton, Shōyō comprit que c'était tout ce qu'il pouvait attendre de lui comme compromis. Il recula pour aller s'asseoir par terre, adossé à l'un des pieds de la table et, les genoux ramenés contre sa poitrine, il parla. Agrippé aux barreaux de bois brut, Kaito l'observait avec une telle attention que le rouquin se sentait mal à l'aise dès qu'il esquissait le plus petit mouvement. Son regard passait au crible chacun de ses gestes, de ses soupirs, le moindre frémissement de ses mains.
Il ne l'interrompit pas, et Shōyō lui révéla tout. Il devait tout comprendre. Hinata lui parla de la magie du sang et du Diacre, de leur famille aux vastes ramifications, d'Eli et de Faith, de Yasuo, des corbeaux, de sa mère et de Silla. De Kōshi, de Jun et de Tadashi. Des circonstances de sa rencontre avec Tobio et de tout ce qui, à sa connaissance, lui était arrivé.
Shōyō parlait depuis si longtemps que sa voix enrouée se réduisit à un murmure. Il ne sentait plus ses fesses et ses bras étaient courbaturés à force de serrer ses genoux. Un rayon du soleil déclinant qui tombait par un trou à l'angle du sud-ouest du toit illuminait les poutres et les baignait dans un ballet de grains de poussières dorés.
Rien ne troublait plus le silence. Hinata crut que Kaito ne lui adresserait jamais le moindre signe et ne lâcherait jamais les barreaux qu'il serrait convulsivement. Le rouquin étendit les jambes et poussa un profond soupir en se frottant les yeux.
Si seulement les corbeaux pouvaient venir, pensa Shōyō. Si seulement il les avait près de lui, si seulement il pouvait entendre le bruissement familier de leurs plumes et les croassement réconfortants des leurs jeux...

Une autre minute s'écoula, puis Shōyō se releva en prenant appui sur l'angle de la table. Une fois debout, il observa Kaito. Ses traits étaient tirés et les jointures de ses mains crispées blanchissaient. En voyant ses yeux étincelants de rage, Shōyō eut l'impression de traverser un précipice en équilibre sur une corde effilochée. Quand elle se romprait, lui tendrait-il la main pour le tirer de l'abîme ou le regarderait-il seulement couler à pic ?
Hinata n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait ajouter ; il lui avait tout dit. Toutes les vérités, du mieux qu'il avait pu. Sa confession. Il fallait que Kaito le croit comme Tobio l'avait cru.
Mais contrairement au noiraud, son frère n'était manifestement ni bienveillant, ni ouvert à son égard.
Shōyō ferma les yeux pour ne plus voir son air accusateur, prit une lancette dans le pot rangé sous la table et se dirigea vers les étagères encombrées de tout un bric-à-brac de potions et de boîtes.
Il les fouilla à la recherche des crayons de couleurs qu'il savait se trouver quelque part. Il les découvrit enfin au fin fond d'un fouillis de galets, de coquillages et de vieux jouets en plastique, coincés derrière un cochon-tirelire en céramique. Après quoi, muni de quelques feuilles de papier à dessin qui trainaient sur la table, Shōyō s'agenouilla à une portée de bras de la cage de Kaito.
Sans lever les yeux vers lui, Hinata dessina un papillon coloré sur une feuille vierge. Il entendit une pause dans la respiration de Kaito, puis un bruissement : il s'accroupissait pour mieux regarder ce qu'il faisait.
Quand le papillon bleu, rose et jaune de Shōyō eut des antennes et un long abdomen fourchu, il saisit sa lancette et se piqua le poignet. Une longue goutte de sang glissa de la piqûre et se répandit sur le dessin. Il se pencha comme pour le saluer très bas et chuchota la formule du sort préféré de sa mère :

Blood Lovers || Kagehina Où les histoires vivent. Découvrez maintenant