Chapitre 36 : Maudite

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Un jour, au cirque, alors que Louise était occupée à accrocher une banderole sur un échafaudage pour le directeur, elle est tombée. Une chute de plus de deux mètres, sans rien pour l'amortir, seulement un sol de terre battue, dur et sec. Il lui avait semblé que tout l'air s'était vidé de ses poumons sous le choc. Elle avait suffoqué, étouffé, mais elle avait du ne rien dire et faire comme si tout allait bien.

C'était exactement ce qu'elle ressentait en ce moment dans cette salle de classe. Elle essayait de se souvenir de comment respirer. De ne pas paniquer. De comment faire pour que personne ne remarque son malaise. Mais plus elle se répétait cela dans sa tête, et plus l'air venait à manquer. Elle avait la sensation de se noyer. Autour d'elle, les objets commençaient à tourner. Elle entendit alors un bourdonnement provenant de son oreille droite.
Mais ce n'était que la voix d'Ernie qui tentait de parvenir à ses oreilles.

— Tu veux bien couper les figues pendant que je verse la fiole ? demanda Ernie. Tu m'écoutes ?

Son ventre se remit à gronder. Pas comme celui de quelqu'un qui avait faim, mais plutôt comme si tous ses nerfs se tordaient d'un coup à l'unisson. Elle fut prise d'un nouveau frisson beaucoup plus violent cette fois que le précèdent. La jeune fille s'appuya contre la table, commençant à trembler. Son sang semblait bouillonner dans ses veines, parcourant lentement son corps en répandant une horrible sensation de brûlure sur son passage, telle une braise ardente qui la traversait. Et pourtant, de l'extérieur, tout était aussi froid et gelé qu'une statue de glace.

Louise connaissait cette sensation. Elle savait ce qu'il se passait. Elle savait pourquoi quelque chose semblait grandir en elle. Quelque chose qui se réveillait sournoisement.

Ce n'était pas possible. Pas maintenant. Pas ici. Tout mais pas ça.

Tout en tournant la tête lentement, la jeune fille déglutit. Il fallait qu'elle sorte d'ici au plus vite. La porte était proche, il lui suffisait de courir, d'oublier les regards et les remarques, et de s'enfuir le plus loin qu'elle pouvait. Elle pensa à la forêt. Oui, c'était là qu'elle devait aller. Si elle avait le temps de l'atteindre du moins. Avant que ce ne soit trop tard. Avant que la transformation ne soit à son terme.

Car Louise ne contrôlait pas toutes ses transformations. C'était là toute la différence entre elle et un animagus. Et contrairement à un loup garou, il pouvait lui arriver en pleine journée de se transformer sans l'avoir prémédité. C'était rapide, incontrôlable et dangereux. Et plus cela arrivait, plus elle souffrait. Comme si la malédiction était de plus en plus intense au fil des transformations. Parce qu'elle était tout simplement maudite. Maudite pour toujours. Vouée à devoir subir ses transformations à tout jamais. À se changer en loup dans la torture, pour ensuite perdre le contrôle de son esprit et de son corps. Et c'est ce qui semblait arriver pile à cette heure.

Le cœur de Louise s'emballa, et elle ne prit même pas le temps de réfléchir.

Laissant Ernie cloué sur place, elle passa à la volée entre les tables, filant dans un coup de vent vers la porte. Sous les yeux ébahis des élèves incrédules et du professeur qui n'avait jamais semblé aussi surpris, Louise s'enfuie de la salle de classe dans un souffle comme un fantôme qui s'échappe. Elle ne prit même pas la peine de fermer la porte, courant comme elle n'avait jamais couru auparavant. Elle traversa les couloirs si vite qu'on aurait dit une ombre, faisant voler sa cape et ses cheveux derrière elle de la même manière que si elle était poursuivie. Elle ne savait même plus depuis combien de minutes elle n'avait pas repris son souffle, mais peu lui importait. Il fallait qu'elle atteigne la forêt à tout prix.

Plus elle courait, et plus elle avait l'impression de perdre le contrôle d'elle-même. Son cœur battait de plus en plus fort comme s'il allait s'arracher de sa poitrine, mais elle savait que ce n'était pas dû à sa course folle. Ses jambes avançaient heureusement toutes seules, mais son esprit commençait à s'éteindre face à la force grandissante de la malédiction. Elle se sentait disparaître au profit du monstre enfoui dans ses gènes. Elle essaya de toutes ses forces de lui résister, même si c'était encore plus douloureux. Il lui fallait juste un peu de temps.

𝐌𝐀𝐋𝐄𝐃𝐈𝐂𝐓𝐔𝐒 ── 𝖜𝖎𝖟𝖆𝖗𝖉𝖎𝖓𝖌 𝖜𝖔𝖗𝖑𝖉Où les histoires vivent. Découvrez maintenant