Chapitre 1 - Jimin

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Je monte les marches et me dirige directement au fond du couloir. La chambre de mon adolescence n'a pas changé. Je m'accote au chambranle de la porte et les bras croisés, je la détaille un moment, me remémorant tout ce que j'ai pu vivre dans cette pièce.

Je me souviens que Tae avait fait la comédie à ses parents, Seon-Mi et Hee-Seung, pour avoir un lit double, il en était fou. Il adorait faire l'étoile de mer dessus. Mais quand j'ai débarqué ici, il lui a dit adieu sans même réfléchir. Nous avons eu, à la place, des lits simples, chacun installé dans un coin. Seon-Mi avait repeint les vieilles tables de chevet et entre les deux, Hee-Seung avait installé une cloison rétractable pour nous offrir de l'intimité. Nous ne lui avons jamais dit que nous ne l'avions jamais utilisée.

Je souris et pénètre dans la chambre. J'en fais le tour. Frôle tous les mangas que nous lisions ensemble. Caresse le vieux violon de Tae. M'empare de mes premiers chaussons de danse. Je l'ai toujours su mais dans mon malheur, j'ai eu une chance incroyable d'être tombé sur une famille comme les Kim.

Je vais m'asseoir sur mon ancien lit et soupire. Comme avant, mes pieds ne touchent pas le sol alors mes jambes commencent à se balancer. Un fin sourire prend place sur mes lèvres alors que je pose mes chaussures de danse sur mes cuisses. Mes doigts s'amusent avec les lacets et les souvenirs me submergent.

Lorsque nous avons eu notre diplôme avec Tae, nous avons quitté cette chambre et avons emménagé chacun dans une chambre universitaire. Elles étaient tellement minuscules que c'en était ridicule. Tae n'arrêtait pas de râler qu'il ne pouvait même pas s'y tourner. Néanmoins, il était tout le temps fourré avec moi dans l'une ou l'autre de ces pièces. Il ne pouvait pas passer plus de deux jours loin de moi.

Pourtant, à l'époque, il était très occupé. Il avait choisi de suivre sa passion pour le violon et s'était donc lancé dans des études de musique pour devenir professionnel. En plus de ses cours, il passait des heures entières à s'entraîner. Mais il gardait toujours du temps pour être avec moi. Ça lui a plutôt bien réussi puisque son rêve s'est réalisé, l'année dernière, quand il a intégré l'orchestre philharmonique de Séoul.

C'est d'ailleurs Tae qui m'a appris que dans la vie, on avait le droit d'avoir une passion et un rêve. Peu importe ce que c'était. Mes parents avaient toujours refusé que je prenne des cours de danse. L'excuse était la même que pour la majorité des autres garçons : la danse, c'est pour les filles. C'est en débarquant chez les Kim, que j'ai pu m'initier à cet art. J'en ai fait pendant des années, j'adorais ça et en toute honnêteté, je ne me suis jamais senti féminin en dansant.

Avec le soutien des Kim, j'avais débuté des études en danse. Ça avait été naturel pour moi de continuer dans ce domaine à l'université. Mais comme pour tout le reste, la malchance m'avait poursuivi et je m'étais blessé au genou. Pendant plusieurs mois, je n'avais pas pu m'entraîner ce qui m'avait obligé à me poser certaines questions sur mon avenir.

Alors après mon service militaire, j'avais pris la décision de changer de voie et de devenir kinésithérapeute sportif. Ça n'avait pas été un choix facile. Cependant, je voulais m'assurer un futur sûr et indépendant. Avec ce métier, c'était le cas.

Maintenant que je suis diplômé, je ne regrette rien. En plus, d'avoir une bonne rémunération, j'ai vraiment la sensation d'aider les gens, d'être utile, de ne plus être ce petit gamin qui se faisait malmener par ses parents. Je dois juste trouver une bonne place à Séoul à présent mais suis fatigué avant même d'avoir commencé à chercher. Je me laisse tomber en arrière et ma tête trouve mon petit oreiller bleu que j'utilisais avant.

Mes yeux fixent le plafond un instant avant de se fermer. Le décalage horaire se fait fortement sentir. Surtout après toutes les émotions que je viens de vivre. Les retrouvailles ont été éprouvantes. Je ne m'attendais pas à ça. Bien entendu, j'ai été heureux de tous les retrouver. Ils sont ma famille. Mais ça a été aussi un moment fort en émotion.

Mon cœur oscillait entre le bonheur d'être entouré de mes proches et la peine d'être de retour ici. Quand je suis en Corée, j'ai cette sensation de ne pas être en sécurité, pas réellement chez moi. Ici, être homosexuel est le meilleur moyen pour être insulté, mis au ban de la société, voire agressé...

Ce qui est fantastique, c'est de se dire, qu'officiellement, il n'est pas illégal d'être gay. Certes, je n'ai pas le droit de me marier avec un homme ou d'adopter mais je peux être qui je souhaite. Mais je peux aussi me faire virer sur le champ pour ça... Aucune loi anti-discrimination ne me protège.

Je me suis fait virer de chez mes parents. J'ai été humilié des dizaines et des dizaines de fois. On m'a battu aussi. Cette fois-là, si Tae n'était pas arrivé à temps, j'aurais été agressé sexuellement voire pire... Je retiens un sanglot à ces images, ces cris, ces insultes qui me reviennent. Dans ces moments-là, je ne peux m'empêcher de penser qu'il serait plus simple de rester célibataire jusqu'à la fin de ma vie.

Heureusement, des rires venant du rez-de-chaussée me sortent de mes pensées. Il faut que je m'occupe l'esprit. J'attrape mon portable au fond de ma poche. Je déverrouille mon téléphone et tombe aussitôt sur le message que j'ai envoyé à Ji-Soo. Elle m'a laissé en vu et n'a même pas pris la peine de me répondre. Je fronce les sourcils.

— Tu dors ?

Je sursaute à l'écoute de la voix de Tae. Mon portable tombe sur le matelas lorsque je me redresse sur les coudes pour l'apercevoir à l'entrée de la pièce. Mon ami n'a pas réellement changé. Il est toujours aussi beau et souriant mais il a à présent ce petit quelque chose en plus que je serais incapable de qualifier. Est-ce de l'assurance ? De la prestance ? Du charisme ? Peut-être une certaine confiance en lui ? Après tout, il aurait raison. Aujourd'hui, il est l'homme qu'il a toujours désiré devenir.

Mon regard le suit tandis qu'il va s'allonger sur son lit. Il passe ses bras derrière la tête et croise les jambes. Ses yeux se ferment comme s'il allait s'endormir mais je sais très bien qu'il n'en est rien. Il ne s'endort jamais sur le dos, préférant se mettre sur le ventre. Puis, de toute façon, ses pieds tapent un rythme que lui seul entend.

— Ça va mieux ? me demande-t-il finalement.

Mon dos retrouve le matelas et je soupire.

— Je suis content d'être avec vous.

— Ça ne répond pas à ma question, me fait-il remarquer.

Ma langue humidifie mes lèvres alors que je repense à tout ce qui m'est arrivé ces dernières semaines. Un sanglot remonte le long de ma gorge mais je le retiens. J'ai passé le temps où je m'apitoyais sur mon sort et pleurais des heures durant. Ça a été dur, ça l'est toujours mais il faut que j'avance.

— Je vais mieux d'une certaine manière... Et je sais qu'être avec toi m'aidera.

Je tourne la tête vers lui et je capte aussitôt son immense sourire.

— Demain, on va à Séoul et une nouvelle vie s'ouvrira à nous. Je vais prendre soin de toi, tu vas voir ! Tu seras heureux, me promet-il.

Tae a toujours eu ce talent de me rassurer. Je crois chacun de ses mots parce qu'il ne m'a jamais menti et m'a prouvé un nombre incalculable de fois qu'il serait toujours là pour moi.

— J'en suis sûr...

Boy(s) with luv | JikookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant