LA THÉORIE DU CHAOS - premier axe : 𝓁ℯ𝓈 𝒸𝒽𝓇ℴ𝓃ℴ𝓃𝒶𝓊𝓉ℯ𝓈

II. Où Rivière aurait VRAIMENT dû rester couché.

Où on réalise qu'il existera toujours quelqu'un pour critiquer aveuglément, aussi vaut-il mieux, au moins, prendre des coups pour ce en quoi on croit.

II

Rivière était à genoux, une tasse de thé vide posée à même le sol à côté de lui, devant ce qui lui semblait techniquement parlant être un gros sac de nouilles métalliques incroyablement mal foutu. Il s'était prévisionnellement retroussé les manches, pour y accueillir une quantité incroyable de cambouis dans un esprit de sadisme parfaitement gratuit. Le jeune mécanicien s'essuya le front d'un bras encore relativement propre et lâcha :

« Vous avez fait faire ça par un druide de quel âge ? » Il eut un petit rire sans méchanceté. Tout était sans méchanceté chez Rivière, de son visage qui était toujours resté un rien enfantin au badge de la secte des scarabées rouges qu'il s'était lui-même cousu, en évidence sur l'épaule gauche de sa vieille veste râpée, parce qu'il l'avait retrouvé traînant dans un flaque un matin de janvier et l'avait trouvé fichtrement beau, — sans connaître ni soupçonner une seule seconde qu'il appartenait à un clan extrémiste dissimulé dans les égouts de Mathusalem. On ne lui avait jamais dit. Il avait gardé le scarabée rouge en feutrine usée.

« C'est un moteur au sang » articula Seamus depuis son ombre. Son œil jaune eut un éclat farouche.

Rivière se figea et déglutit.

« Vous voulez dire...vous voulez dire » bégaya-t-il en jetant un coup d'œil nerveux à la machine qui palpitait bizarrement, « que ce mécanisme fonctionne à...qu'il n'utilise pas de...de charbon...ou... ? »

Seamus hocha la tête.

« Il fonctionne avec une dose de mon propre sang. Ne t'inquiètes pas » ajouta-t-il avec l'air de se moquer éperdument de l'inquiétude du petit mécanicien, « la ponction a été quasi indolore et effectuée dans les règles de l'art, à la seringue. Je suis magicien, et ce de naissance. Mon sang a certaines propriétés.

— Mais vous devez vous vider ! » s'écria Rivière, toujours à genoux, avec toute la révolte dont son être était capable. Il n'était pas très grand mais savait s'indigner.

« Ce n'est pas un combustible » fit Seamus d'une voix neutre. « Il ne se consomme pas. La dose est contenue dans un extracteur et la magie la parcourt comme une flamme. Ou quoi que ce soit d'approchant. Tant que le sang est en sécurité, le mécanisme fonctionne. »

Rivière se retourna vers le moteur bizarre et se gratta le dessus de la tête, perplexe.

« Si vous me dites que vous ne risquez rien, je n'ai rien à reprocher à ce mécanisme » lâcha-t-il, dépité. « Mais je ne connais pas grand-chose à ces choses. Je suis désolé. Le charbon, la tourbe...ça, encore, je peux comprendre. Mais le sang...

— Pas de problème » fit Seamus.

Rivière fronça les sourcils et se tourna vers le mage.

« Comment ça ? »

L'ombre de Seamus remua, à peine.

« Tu n'auras pas besoin de réparer ce moteur. »

Rivière se tendit.

« Je ne comprends pas.

— C'est simple » sourit-il, et ses yeux se déportèrent sur un point à côté de Rivière. « Ce moteur fonctionne seul. Tu n'es pas venu pour ça. »

Le mécanicien suivit son regard...

...il était posé tranquillement sur la tasse de thé vide.

Son sang se glaça dans ses veines.

Avec horreur, Rivière sentit soudain sa clef à molette glisser lentement de ses doigts. Et ses bras s'engourdir. Tellement qu'ils roulèrent à bas de ses genoux et heurtèrent le sol de gros bois.

Rivière en aurait pleuré. Tout s'assombrissait, comme si on faisait tomber la lumière, et des mouches bleuâtres se mirent à danser terriblement devant ses yeux qui le démangeaient.

Il sentit son souffle se raccourcir et une horrible sueur glacée lui couler subitement sur le visage. Il avait très froid et son cœur battait comme un oiseau ivre de panique.

Rivière gémit. Il était presque aveugle...

Soudain, il fit noir.

Puis plus rien.

Seamus eut un sourire.

« Bonne nuit, vilebrequin. »